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LA BANQUE DE FRANCE SOUS LA COMMUNE.

Dans une réunion tenue à cet effet place des Vosges, le marquis de Plœuc et Charles Beslay avaient échangé des observations un peu vives, et, sans se dire précisément de gros mots, s’étaient adressé des répliques peu aimables que justifiait sans doute la divergence d’opinions des deux interlocuteurs. Malgré l’opposition de Charles Beslay, le marquis de Plœuc avait été élu président du comité breton. Après le combat de Champigny, Beslay écrivit à M. de Plœuc pour lui demander de s’intéresser à M. Hovius, son neveu, qui avait été blessé et porté à l’ambulance bretonne. M. de Plœuc avait répondu à Beslay et, n’en ayant plus entendu parler, croyait que toute relation était terminée entre eux ; il fut donc très surpris lorsque, dans la matinée du 29 mars, on lui annonça : Le citoyen Beslay, membre de la commune.

Charles Beslay vint-il à la Banque de son propre mouvement, y fut-il envoyé par les délégués aux finances, c’est là un point douteux qu’il est bien difficile d’éclaircir. Il est probable que Beslay entendit quelque membre de la commune dire : — Si la Banque refuse l’argent dont nous avons besoin, nous l’occuperons militairement et nous viderons ses caisses. — Animé d’un bon sentiment et comprenant le danger d’une telle exécution financière, il se proposa en quelque sorte comme intermédiaire, et fut accepté. Bslay avait alors soixante-seize ans ; petit, très alerte, malgré son âge, d’une activité un peu fébrile, il ressemblait à un quaker qui aurait été soldat ; apparence que ne démentait pas l’incomparable expression de douceur répandue sur toute sa physionomie. Il semblait légèrement embarrassé en entrant chez M. de Plœuc, et ses premières paroles cherchèrent à donner le change sur le but de sa visite, car il remercia le sous-gouverneur de l’intérêt dont M. Hovius blessé avait été entouré à l’ambulance bretonne. M. de Plœuc répondit quelques mots de politesse banale et attendit, car il n’était point dupe du désintéressement, trop apparent pour être sincère, de cette visite. Beslay n’était pas homme à dissimuler longtemps sa pensée, il la laissa brusquement échapper en disant : — Je sors du ministère des finances, on y est fort irrité contre vous ; on rencontre en vous un mauvais vouloir déguisé que l’on est résolu à ne point tolérer ; j’ai cru devoir vous en prévenir, afin d’éviter une collision qui pourrait être redoutable et mettre en péril l’existence même de la Banque. — Le marquis de Plœuc répondit aussitôt : — Pour arriver jusqu’à mon cabinet, vous avez traversé nos cours et nos couloirs, vous avez pu reconnaître que nous sommes sous les armes ; j’ai des hommes, j’ai des munitions, je me défendrai. — M. de Plœuc avait parlé avec animation ; Beslay répliqua : — La ! la ! il n’est pas question de mettre le feu à la soute aux poudres ; mais rien n’empêche la