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remonte aisément au XVIe siècle, et le XVIe siècle, parmi cent personnages du même genre, nous offre les Borgia et les Machiavel.

Ces épisodes ne sont pas les seuls qui intéressent l’histoire politique dans le Louvois de M. Camille Rousset. Il faudrait citer encore maintes scènes, maintes aventures, très heureusement éclairées et mises en relief par les recherches de l’historien, l’expédition de Candie et la disgrâce du duc de Navailles, les rivalités de Colbert et de Louvois, l’attitude de Vauban en face des deux puissans ministres, le zèle froidement respectueux que Colbert lui inspire, l’affection profonde qu’il témoigne à Louvois tout en lui rendant boutades pour boutades et, si on l’ose dire, coups pour coups ; il faudrait citer tout ce qui concerne le rôle et le caractère de Turenne, du duc de Luxembourg, de Catinat, les rapports si curieux de Louvois et de Louis XIV, les sentimens contraires que le roi éprouve à l’égard du ministre, la confiance faisant place à la jalousie, et les intrigues de cour profitant de ces péripéties quotidiennes.

Quant à l’histoire sociale, un des traits les plus vifs que renferment ces pages, c’est précisément cet incroyable mélange de manœuvres, de roueries, de combinaisons, de mines et de contre-mines, tout cela revêtu d’un grand air de noblesse intellectuelle et de beauté morale. Un jour, pendant le siège de Gand, au mois de mars 1678, Louvois reçoit au camp un livre qui vient de paraître : c’est la Princesse de Clèves, que lui envoie son frère l’archevêque de Reims. L’archevêque pensait sans doute que les opérations de guerre allaient se prolonger et que cette nouveauté serait de temps à autre un délassement pour un homme accablé d’affaires ; mais le siège de Gand ne dura pas dix jours, et c’est le jour même de la capitulation que Louvois répondit à l’archevêque de Reims : « J’ai reçu le roman de la Princesse de Clèves. Je vous remercie de la part que vous m’avez bien voulu donner de cette nouveauté, mais j’aurais de la peine à vous en dire mon sentiment, les occupations que j’ai ici ne me laissant pas la liberté de donner attention à de pareilles choses. » Dans le même moment, tandis que tant de braves gens exposent leur vie sous les murs de Gand et d’Ypres, la cour tout entière, suivant l’itinéraire de Louvois et sous la conduite de M. de Villacerf, accompagne l’armée à distance. Là, par les chemins défoncés, courant la chance des mauvais gîtes, maugréant fort de tant de fatigues et se consolant au jeu de la bassette, on aperçoit des personnes assez surprises d’être rassemblées en pareil lieu, Marie-Thérèse la timide et Montespan la superbe, sans oublier le héros des compagnies galantes, M. de Langlé, parfait courtisan, beau joueur, maître expert dans l’art de la braverie, conseiller assidu de Mme de Montespan quand il s’agit du choix d’une étoffe ou de la coupe d’un habit de gala. M. Camille Rousset, qui ne perd jamais de vue les détails