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canon. Il faut ajouter seulement que le puissant organisateur est parfois le plus téméraire des diplomates. Il engage des parties étranges, il se jette en des aventures inouïes, il trompe, il est trompé ; le roi lui-même, bafoué à la suite de son ministre, deviendrait la risée de l’Europe, si la force ne venait en aide à la ruse. Il y a telle de ces aventures où la comédie tourne subitement au drame. Je signale particulièrement l’aventure du comte Mattioli.

Sommes-nous bien au XVIIe siècle ? Est-ce bien en 1678, à l’heure la plus brillante du siècle, à l’heure où tant de chefs-d’œuvre donnent à la société française un merveilleux éclat, lorsque tout semble grâce, harmonie, sérénité victorieuse et régularité grandiose, est-ce bien alors que la politique a recours à de si mesquines, à de si honteuses manœuvres ? Voici un ministre du duc de Mantoue qu’un ministre du roi de France achète à beaux deniers comptans pour obtenir la cession de la ville forte de Cazal, la clé de l’Italie supérieure. C’est le comte Mattioli, un drôle, Scapin ou Mascarille, qui essaie de jouer tout le monde en recevant l’argent de toutes mains. Il pourrait dire comme le personnage de Molière :

Après ce rare exploit, je veux que l’on s’apprête
A me poindre en héros, un laurier sur la tête,
Et qu’au bas du portrait on mette en lettres d’or :
Vivat Mascarillus fourbum imperator !


Malheureusement pour le comte Mattioli, ses intrigues lui sont un piège. A trompeur, trompeur et demi. L’honnête homme a révélé à Madame Royale, duchesse de Savoie, le plan qu’il vient de faire avec le ministre de Louis XIV. La duchesse, qui devrait le remercier, se défie et flaire là-dessous des trahisons nouvelles. A son tour, elle trahit le traître, et pour se tirer au plus vite de cet imbroglio de vilenies, elle avertit Louis XIV des faits et gestes du Mattioli. Aussitôt tout change. La négociation qui avait pour but la prise d’une ville n’en a plus d’autre que la prise d’un homme. Il faut que Mattioli, sans se douter de rien, tombe aux mains des agens de Louis XIV et disparaisse à jamais ; sans quoi, le secret de l’aventure serait bientôt la fable de l’Europe, et le cynisme de Mascarille éclabousserait le roi. Mattioli est attiré adroitement à l’entrée du territoire français dans une hôtellerie borgne où une forte somme d’argent doit lui être remise pour la suite des opérations. C’est la souricière où il va être pris. Un détail plaisant, c’est qu’en se rendant de Turin à la frontière de France, Mattioli et ceux qui l’accompagnent rencontrent une petite rivière, la Chisola, fort grossie par les pluies. Il n’y avait là qu’un mauvais pont à demi rompu. On eût dit une bonne chance arrêtant Mascarille au bord du précipice. Mais le comte Mattioli est lancé, rien ne l’arrête. On