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tout marche d’aplomb : chaque valeur sort à sa place, partout l’équilibre et le relief.

A propos de la Traviata, j’entends certains admirateurs de Mlle Albani lui faire un mérite de « ne pas chanter à l’italienne. » Que signifie cela ? Il n’y a pas plusieurs manières, il y a l’art avec ses exigences musicales, le chant avec ses rhythmes, ses contours que la phrase elle-même vous impose et qui ne sauraient dépendre de l’interprétation arbitraire du chanteur. Toute phrase chantée a son sens, ni plus ni moins qu’une phrase parlée ; on peut accentuer tel mot, donner telle nuance à l’expression, mais on ne peut dire que ce que l’auteur a dit. S’il était vrai que l’Albani ne chantât point à la manière italienne moderne, ce serait donc tant pis pour elle, autant vaudrait avancer qu’elle ne possède ni le sentiment des valeurs, ni le talent de grouper les notes, ce que tout le monde à peu près sait autour d’elle, à commencer par M. Pandolfini, qui chante comme un Italien d’aujourd’hui et comme un Italien qui chante bien. Ainsi de M. Capoul, trouvez-lui son cadre, placez-le dans un milieu correct, et vous verrez ce que ce talent, dont le charme constitue le principal titre, possède en outre de savoir et d’acquis ; la façon de dire est excellente, la prononciation irréprochable. Dans ce rôle de l’amant de Violetta, je ne lui connais point de rival ; passion, tendresse, qualités émouvantes, tout y est ; l’acteur, le virtuose, se complètent ; il chante cette admirable musique de Verdi comme Mario la chantait, mieux peut-être, et joue la pièce de Dumas fils comme Rossi la jouerait. — Par exemple, bon nombre d’amateurs, sans être trop curieux, ont pu se demander ce qu’était venu faire l’ouvrage de M. de Flotow, donné à la fin de la saison en manière de bouquet du feu d’artifice. Que nous veulent aujourd’hui ces romances démodées, ces boléros, ces allégros, ces cavatines à deux parties, vieux galons et vieux débris de la succession Donizetti, tombée en déshérence même en Italie ?

Nous eûmes d’abord Martha au Théâtre-Lyrique, ensuite l’Opéra-Comique donna l’Ombre ; mieux eût valu en rester là, car ce ne sont point précisément les cerises de Mme de Sévigné que les partitions du chambellan mecklembourgeois, et, de ce qu’on en mange une ou deux, ce n’est pas une raison pour que tout le panier y passe. Or, cette Alma l’Incantatrice composait le fin fond du panier. Il y a plus de trente ans que l’ouvrage existe et court l’Europe, déguisant son identité sous les masques les plus divers : d’abord, opéra-comique en un acte, s’intitulant à Paris (1er décembre 1843) l’Esclave de Camoëns, dix ans plus tard établi à Vienne en qualité de grand opéra et s’appelant Indra, puis finalement hier nous revenant avec le nom d’Alma et toute sorte de facultés enchanteresses et de styles variés empruntés aux nombreux pays visités depuis trente-cinq ans. Dans un temps comme le nôtre, où vous auriez peine à trouver en Italie un musicien qui ne germanise, où