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qu’elles contiennent de vrai et ce qu’elles contiennent de faux. « Brutal, peut-être, répond hardiment M. Camille Rousset, il n’avait pas le temps d’être gracieux ; et d’ailleurs la franche brutalité de Louvois valait mieux que l’obséquieuse et perfide politesse de son père. Mais pourquoi l’appeler un commis ? Est-ce à dire qu’il prenait ses inspirations d’autrui, de Louis XIV sans doute ? Il y a longtemps que l’histoire a fait justice de ces flatteries. Ni Colbert, ni Louvois n’ont été des commis ; ils ont été des maîtres. »

Comment Louvois est-il devenu un maître ? Comment a-t-il réussi à créer, à diriger, à gouverner la plus importante machine de l’état, au milieu des prétentions altières de l’aristocratie et en face d’une volonté souveraine absolue ? C’est ce que M. Camille Rousset a mis en pleine lumière avec une merveilleuse abondance de preuves. Réformateur opiniâtre et administrateur vigilant, Louvois a refait l’armée détruite par les abus ; il l’a refaite, pour ainsi dire, pièce à pièce, s’occupant de l’ensemble et du détail, organisant la compagnie et surveillant le soldat, relevant l’honneur et restaurant la discipline, exigeant beaucoup de l’armée et lui accordant plus encore, féroce, comme disait Saint-Simon, bienfaisant et humain, comme nous le montre l’Hôtel des Invalides. On ne comprend cette œuvre immense de Louvois qu’en suivant pas à pas le créateur infatigable ; c’est la tâche que s’est donnée M. Camille Rousset, et il y prend un intérêt passionné qui se communique à son lecteur. La prépondérance de la cavalerie sur l’infanterie dans les anciennes armées, cet état de choses prolongé longtemps encore après l’invention dés armes à feu, le rôle du mousquetaire, le rôle du piquier, puis la révolution qui réunit ces deux armes, le mousquet et la pique, et, les ajoutant l’une à l’autre, assure désormais la supériorité du fantassin dans les péripéties des grandes batailles, tout cela est exposé avec une précision technique et une netteté de vue qui ne laissent rien à désirer. Le lecteur se sent conduit par une main sûre ; c’est un terrain solide sur lequel nous marchons. Une des plus utiles créations de Louvois a été celle des inspecteurs qui surveillaient dans toute la France l’exécution des réformes et se rendaient compte de l’état de chaque régiment ; M. Camille Rousset ressemble à l’un de ces inspecteurs, il a l’esprit éveillé, le coup d’œil prompt, la mesure exacte, il voit et il juge sans rien livrer à, la conjecture, sans jamais se contenter de l’à-peu-près.

Ne soyez pas surpris de la précision de ses renseignemens, il les doit à Louvois lui-même. Le grand mérite de M. Camille Rousset est d’avoir soupçonné le premier, l’un des premiers du moins, tout ce que le dépôt de la guerre contient de richesses accumulées ; le dépôt de la guerre, encore une création de Louvois. Pour nous autres, hommes d’étude, chercheurs passionnés de la vérité vraie,