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digne d’intérêt. Nous ne connaissons encore ni la partition de M. Godard, ni celle de M. Dubois, ni celle de Mlle Augusta Holmes, inscrite au dernier rang du palmarès, comme on dit en style académique ; admettons donc que l’avenir nous réserve à cet endroit des émotions inespérées, mais jusqu’ici ce fameux tournoi musical n’aura produit de bon que le rapport de M. Émile Perrin, morceau écrit d’excellent style, et qui dénonce à chaque ligne un esprit dès longtemps au fait. Et maintenant, sans insister sur ce malheureux impromptu, parcourons la saison des Italiens. Deux artistes de talent : M. Capoul et Mlle Albani, en ont soutenu l’intérêt. Ce n’est pas qu’il n’y ait eu des intervalles et des lacunes, assurément tous les coups n’ont pas porté, car il faut bien en convenir, le Théâtre-Italien, tel que la nécessité des temps nous l’a fait, ne saurait plus être désormais qu’une espèce de lanterne magique dont un chef d’orchestre tourne la manivelle tandis que sur de vieux airs stéréotypés passe un défilé de comparses presque toujours étrangers les uns aux autres, étrangers surtout au public. N’importe, grâce aux deux étoiles que je viens de nommer, l’honneur de la campagne est resté sauf, on peut même citer quelques représentations de la Traviata qui comptent parmi les meilleures auxquelles nous ayons assisté.

Entendons-nous pourtant, et qu’il nous soit permis de dire ici la vérité à tout le monde sans épargner ceux qui réussissent le plus, leur triomphe n’en sera certainement pas moindre, mais la critique aura fait son devoir. Oui, nous serons sévère envers Mlle Albani parce que chez elle ne se trahit aucune aspiration vers le mieux ; triste chose vraiment si sa conscience d’artiste ne lui reproche rien à ce sujet ! Elle lance toujours en l’air les mêmes jolies notes, et, quand elle tient son effet, s’y cramponne avec la même complaisance : nulle trace d’étude, nul progrès ; toujours cette émission inégale de sons disparates, cet absolu dédain du style et de tout ce qui constitue le dessin musical. Le malheur des prime donne de cette sorte est qu’elles entraînent dans leur orbite tout ce qui les entoure et font participer à leurs défauts ceux qui, laissés à eux-mêmes, se maintiendraient dans la droite ligne. Observez M. Capoul, il y a chez lui le sentiment inné du style, un fonds de rectitude apparent chaque fois qu’il est seul sur la scène ; on reconnaît qu’il voit juste, qu’il sait ce qu’il veut dire et comment il le veut dire ; mais, une fois l’AIbani revenue, elle le désunit, et le voilà lancé dans l’inconnu et faisant tout à rebours du bon sens. Et cet état permanent de révolte contre le rhythme, comment ne point s’en irriter ? D’où vient cette manie de briser les formes et les cadres ? Je comprends que l’on veuille arrondir un angle ou convertir un cercle en ovale, mais prétendre qu’il n’y ait ni cercle ni ovale, ni angle, ni aucune forme définie ! À l’Opéra, jusqu’à l’arrivée de M. Lamouroux, c’était le même désarroi ; retournez voir aujourd’hui ce qui se passe et comme