Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à force de vouloir faire de la sculpture un moyen d’instruction positif et comme un agent officiel des progrès de l’éducation publique, il en diminue au fond la puissance et en restreint sensiblement la portée. S’il fallait en effet prendre David au mot, la tâche du sculpteur se réduirait à peu près à celle d’un biographe des hommes célèbres, à la besogne d’un rédacteur pour ainsi dire de procès-verbaux historiques destinés à sauver de l’oubli les choses et les gens dignes de survivre. Lui-même, au risque de se déprécier et de méconnaître une partie de ses titres, ne s’attribuait pas d’autre mission. « Je ne me sais gré de mes ouvrages, disait-il vers la fin de sa vie, que parce qu’ils représentent des grands hommes. » À cela l’on pourrait répondre que tout dépend en pareil cas du mode de représentation, et que l’honneur d’un statuaire tient de plus près encore aux mérites particuliers de son œuvre qu’à ceux du personnage dont il aura voulu perpétuer le souvenir. Telle statue antique sans nom, telle figure d’un inconnu sculptée au moyen âge le long d’un pilier de la cathédrale de Chartres ou au XVe siècle sur quelque tombeau florentin, peut, par la seule éloquence de sa beauté, nous intéresser bien autrement que l’image même du plus illustre héros. Qu’ont de commun avec l’histoire, dans le sens rigoureux du mot, la plupart des chefs-d’œuvre de Donatello ou de Ghiberti, de Michel-Ange lui-même ou de Jean Goujon, et cependant qui s’avisera de reprocher à ces grands artistes d’avoir par là failli à leur devoir ?

L’art a sa vie en soi, sa force propre et sa vertu. Qu’on lui demande non de se borner à contenter les yeux, mais de charmer l’imagination ou même d’émouvoir le cœur, rien de mieux. Qu’on nous dise bien haut qu’un art sans pensée, sans idéal, sans correspondance secrète avec nos aspirations ou nos souvenirs n’aboutit qu’à une contrefaçon muette, à l’inutile office d’une étiquette sur le vide, on ne fera qu’exprimer une vérité ; mais la vérité cesse et le sophisme commence quand on prétend imposer aux œuvres de la statuaire le caractère nécessaire de panégyriques, quand on veut tout subordonner, tout sacrifier aux intérêts de la mémoire qu’elles glorifient, aux renseignemens historiques qu’elles peuvent fournir. Comment David ne s’apercevait-il pas qu’en déplaçant ainsi le but il le rapprochait plus que de raison, et que, sous le prétexte d’ennoblir la tâche, il en rabaissait les conditions ?

David, après tout, était-il bien irrévocablement convaincu de l’excellence de ses théories sur ce point ? Certaines distinctions qu’il cherche à établir dans l’application, certaines exceptions qu’il propose permettraient de penser que, malgré sa certitude apparente, il en vient par momens à s’effrayer un peu, à se préoccuper tout au moins des conséquences que pourront avoir ses préceptes ou des