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crédule, plus disposée à l’enthousiasme pour les idées neuves, ou qui lui paraissent telles, qu’à la confiance dans les vérités universellement reconnues, très naïve enfin malgré ses prétentions dogmatiques, et, tout en se piquant de scruter le fond des choses, naturellement portée à se laisser séduire par les apparences et les grands mots.

Contraste singulier en effet : David, en prenant la plume, entend, de la meilleure foi du monde, rendre hommage à l’art, à sa vertu intime, à ses bienfaits, et pourtant, au moins dans la forme, il semble n’attacher de prix qu’à l’artificiel. Pour inspirer aux artistes l’amour de la simplicité, il leur donne l’exemple de l’emphase. Il vante la clarté dans un langage obscurci par les brumes d’une fausse rhétorique et ne trouve par exemple, quant au principe et à la fonction de la sculpture, d’autres explications à nous donner que cette définition passablement amphigourique : « La sculpture est la tragédie des arts. J’ai toujours pensé à la sculpture en voyant Hamlet sur la scène. L’homme qui lutte seul contre le malheur est héroïque. La sculpture est une religion. » Tragédie au commencement de la phrase, religion à la fin, la sculpture, un peu plus loin, devient « un livre chargé de transmettre aux époques les plus reculées… le poème d’une âme, » pour se convertir, après bien d’autres transformations encore, en « un flambeau destiné à guider les générations. »

Encore, si toute cette phraséologie n’engageait que les dehors et n’accusait que l’inexpérience littéraire, on pourrait jusqu’à un certain point en prendre son parti. Par malheur, les idées mêmes n’ont guère ici plus de netteté que les termes. Les enseignemens qu’on en voudrait tirer se dérobent et sont comme étouffés sous un amas de propositions contradictoires ou équivoques, et surtout sous le poids de ces préoccupations humanitaires qui obsédaient l’esprit de David au point de lui faire perdre, en matière d’art comme ailleurs, le sentiment de ce qui est réalisable et possible. Ce n’est pas assez pour lui d’exhorter les artistes à travailler uniquement à l’intention du peuple, parce que « lui seul est digne d’être leur juge ; » il veut encore qu’ils s’attribuent la mission de propager la, morale par leurs œuvres, qu’ils prennent pour objet de leur apostolat « l’éducation de l’homme, » et cela en figurant avec l’ébauchoir ou le pinceau a l’apothéose de l’humanité : » moyennant quoi ils conduiront tout doucement leurs frères à la vertu et au bonheur, sans compter la joie qu’ils éprouveront pour leur propre compte à voir « les nations faire de leurs chefs-d’œuvre les bases d’un traité de paix entre tous les partis. »

Tout cela, on en conviendra, dépasse de beaucoup la limite des