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condisciple, rester invariablement sincère devant la nature et concilier avec l’interprétation savante des formes la rigoureuse naïveté du sentiment. Bien souvent, la véracité de David n’est pas, si l’on peut ainsi parler, ingénue ; elle semble impliquer la volonté préconçue de s’afficher, de surprendre par son audace même, et, au risque d’offenser le goût, de s’emparer de notre attention à force ouverte.

Le goût, n’est-ce pas d’ailleurs à cette faculté de l’esprit que les ouvrages de David s’adressent le moins directement ? La pensée dont ils sont sortis, comme la main qui les a modelés, a plus de force que de délicatesse, plus de vivacité que de patience, plus de passion en un mot que de sagesse. Si éloquent qu’il soit ou qu’il veuille être, le talent de David manque de persuasion et de charme. Même dans ses meilleurs momens, il garde quelque chose de systématique, de rude, d’inflexible ; même lorsqu’il s’applique à des sujets dont l’esprit essentiel est la grâce, — l’Enfant à la grappe, le Jeune Barra, — il procède à peu près comme lorsqu’il s’agissait de rendre le plein développement ou la mâle fierté des formes ; et pourtant parmi les admirateurs de ce talent beaucoup n’hésitent pas à en vanter la variété et la souplesse ! Il suffirait de reconnaître et il serait plus juste de dire que David a abordé tous les genres de sujets. En lui tenant compte de la diversité de ses entreprises, on ne se croirait pas pour cela le devoir d’en louer inévitablement les résultats ; en estimant à son prix une fécondité qu’attestent, outre plusieurs grands travaux de sculpture monumentale, près de huit cents statues, bas-reliefs ou portraits, on n’y verrait pas nécessairement la preuve des heureuses transformations du sentiment et du style. On éviterait ainsi d’attribuer à David un mérite qui en réalité appartient à d’autres, à Rude par exemple, dont le ciseau sut tour à tour, et avec une excellence égale, figurer les contraires, depuis la beauté païenne dans le Mercure et l’Amour dominateur jusqu’à la vie mystique de l’âme dans la statue de Jeanne d’Arc, depuis l’insouciance joyeuse et les grâces de l’enfance dans le petit Napolitain à la tortue jusqu’à l’élégance raffinée de l’attitude et du costume dans le Louis XIII adolescent, jusqu’aux élans de l’impétuosité guerrière dans le groupe épique de l’Arc de l’Étoile.

Inférieur à Rude, au moins quant à la flexibilité du talent, David l’emporte-t-il sur les autres sculpteurs de son temps dans le genre spécial traité par chacun d’eux ? Moins habile que Pradier à rendre la beauté souple, la morbidesse des corps féminins, — tâche qu’il ne s’est proposée d’ailleurs que dans d’assez rares occasions, — David n’a pas réussi non plus à exprimer la jeunesse virile mieux, aussi bien même que Duret dans son charmant Danseur napolitain.