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ressemble à ces lourdes tiares d’or que la tête ne peut porter qu’à la condition de ne pas remuer. En se laissant déclarer infaillible, Pie IX a rendu singulièrement plus étroite la solidarité des souverains pontifes, désormais obligés de toujours être, de toujours paraître d’accord entre eux. L’infaillibilité est ainsi une entrave à la liberté du saint-siège, aussi bien qu’à la liberté des fidèles ; elle lie le pasteur en même temps que le troupeau, elle enchaîne et paralyse l’autorité qui en est revêtue. Les successeurs de Pie IX en pourront un jour sentir la contrainte. Pour n’en être pas trop gênée, la papauté finira par trouver que le mieux est de ne se point servir de cette embarrassante prérogative, ou de n’en user que dans le domaine inoffensif de la théologie abstraite, sans prétendre trancher d’autorité, au nom de la foi ou de la morale, les questions vivantes qui s’agitent dans le monde changeant des faits.


VI

Le règne de Pie IX marque l’apogée de la centralisation catholique et de la toute-puissance papale, issue d’un principe d’autorité systématiquement poussé à outrance. L’évolution ecclésiastique, arrivée à son dernier terme, est en sens inverse de l’évolution politique encore inachevée des nations contemporaines. Tandis que la société civile tend de plus en plus à faire dériver tout pouvoir de la libre volonté des gouvernés, du libre suffrage de tous, la société ecclésiastique fait découler toute autorité d’une source unique, d’un seul homme, d’une seule bouche. Entre deux sociétés animées d’un esprit aussi différent, on ne saurait s’étonner qu’il y ait antagonisme. Il n’y avait pour la papauté qu’un moyen d’éviter un conflit, c’était de déclarer que la religion et la politique, l’église et l’état, se mouvant en deux sphères distinctes, peuvent sans se heurter marcher en sens contraire. Au lieu de chercher dans cette distinction du domaine temporel et du domaine spirituel une voie de transaction, Pie IX a prétendu faire prévaloir dans l’ordre civil et politique, sinon les mêmes règles, du moins les mêmes principes que dans l’ordre religieux. Le pape a hautement revendiqué pour l’église la direction des sociétés et de la vie publique, aussi bien que la direction des individus et de la vie privée. L’ultramontanisme, maître incontesté du sanctuaire, s’est retourné contre la société civile, pour la courber sous les mêmes maximes, et la soumettre à la même autorité. Il semble qu’aux yeux des zelanti et de Pie IX, l’entier, assujettissement de l’église à l’absolutisme papal ait eu pour principal but d’en faire un instrument de guerre plus redoutable, une armée plus compacte et mieux disciplinée,