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les prophètes les plus hardis d’Israël. C’est alors qu’avec une ardeur qui ne s’éteignait pas, et une voix qui ne tombait point, ce vieillard détrôné a pendant des années tonne contre les persécuteurs et les usurpateurs, contre les Attila et les Achab modernes, refaisant presque chaque jour le même discours, avec la même verve et la même vigueur, avec une fécondité inépuisable et un zèle toujours nouveau.

D’où venait au pape octogénaire cette véhémence jusque-là inconnue, cette hardiesse dégagée de toute crainte terrestre ? Elle lui venait de ses malheurs, de sa spoliation, de son affranchissement de tout lien temporel. Une fois privé de ses états, Pie IX parlait avec la liberté de l’homme qui n’a plus rien à perdre. Certes ce n’est pas un souverain obligé de ménager les princes et les gouvernemens étrangers qui eût poussé aussi loin la liberté de la parole et de l’invective. Roi, le pape était contenu par les convenances diplomatiques, par l’étiquette, par les intérêts mêmes de ses états, roi, il était contraint d’être politique. Détrôné, Pie IX pouvait s’abandonner aux emportemens de son indignation. Il s’est ainsi trouvé qu’au lieu de diminuer là liberté de son langage, la déchéance temporelle l’a étendue.

La souveraineté romaine était pour le chef de l’église une entrave ou un frein autant qu’une garantie. La longue traîne du manteau royal dont la papauté était affublée permettait de l’atteindre et de la saisir. Tous les princes qui jadis ont eu maille à partir avec Rome, les empereurs de la maison de Franconie ou les Hohenstauffen, les Charles-Quint ou les Louis XIV, le savaient bien, c’était par ses états qu’on pouvait prendre le saint-siège. Le pouvoir temporel était le point vulnérable de la papauté ; une fois redevenue puissance toute spirituelle, elle offre bien moins de prise à la force matérielle, elle est devenue insaisissable, devenue invulnérable. C’est là peut-être la principale conséquence de l’abrogation de la royauté pontificale, une conséquence que n’avaient prévue ni les amis ni les adversaires du saint-siège. Contre un pape sans états, les puissances étrangères n’ont aucun moyen de recours, aucun moyen coercitif ; contre lui, l’état même où il réside n’a d’autre action qu’une violence sur sa personne, c’est-à-dire ce qui répugne le plus à nos mœurs, ce qui de nos jours, en temps régulier du moins, est le plus malaisé.

Cette liberté de parole, la plus grande que les papes aient jamais connue, Pie IX la devait moins aux lois et à la sagesse de l’Italie qu’aux convenances sociales, aux nécessités politiques, et à ce libéralisme si souvent condamné par l’impétueux pontife. L’Italie peut modifier, peut abroger ses lois, elle ne saurait changer entièrement d’attitude vis-à-vis de la papauté. Pie IX a vécu sept années sous