Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longue une sorte de grand lama, invisible aux profanes et relégué au fond d’un palais comme une idole vivante au fond d’un temple. Voilà l’alternative où, par sa réclusion et par ses discours, Pie IX a placé ses successeurs, à moins qu’ils ne veuillent entreprendre un exode à travers le monde, et chercher, sous quelque autre gouvernement et sous quelque autre sujétion, la liberté qu’ils croient ne pouvoir trouver dans l’Italie unifiée.


III

Le pape peut-il être libre dans l’Italie nouvelle ou dans tout autre état moderne ? Il faut à ce sujet se garder de confondre la liberté de l’église et la liberté de son chef, l’indépendance du clergé et l’indépendance de la papauté. Ce sont là deux choses qui, bien que naturellement rattachées l’une à l’autre, ne sont pas absolument enchaînées et inséparables. L’Italie, par exemple, a, comme l’Espagne, comme le Portugal, aboli chez elle les corporations religieuses ; c’est là une mesure pénible pour le pape, atteignant même, si l’on veut, la liberté de l’église, non la liberté personnelle de son chef. Or la plupart des griefs de Pie IX et du clergé contre le gouvernement italien étaient des griefs de cet ordre, comme le pape en peut avoir vis-à-vis des états où il n’a point sa résidence. Un catholique peut regretter des lois de ce genre, il ne saurait les présenter comme un obstacle à la liberté du souverain pontife dans ses rapports avec le monde chrétien, dans l’exercice de sa fonction cosmopolite.

De tous les faits si énergiquement reprochés à l’Italie par le vieux pape, les uns n’étaient qu’une conséquence de la sécularisation de l’état romain, les autres qu’une suite de la lutte engagée par la papauté contre la monarchie italienne. Pie IX n’a, depuis 1860, cessé de se regarder comme en guerre ouverte avec l’Italie, et d’user vis-à-vis d’elle de tous les droits de la guerre. Le gouvernement italien avait beau protester de ses sentimens pacifiques à l’égard du Vatican, il n’en pouvait recevoir tous les coups sans chercher à les parer, si ce n’est à les rendre. On a dit parfois que l’Italie n’avait pas scrupuleusement appliqué la belle formule empruntée par Cavour à Montalembert : « l’église libre dans l’état libre. » On a oublié qu’en se déclarant l’ennemi irréconciliable de l’Italie, Pie IX exposait l’église aux représailles de l’état.

Dans cette lutte si vivement poussée d’un côté, et de l’autre si manifestement soutenue à contre-cœur, l’Italie est toujours restée sur la défensive, mettant son honneur à ne pas entraver la liberté du pontife qui lui cherchait partout des ennemis. Si Pie IX pouvait se