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difficile, plus pénible, plus humiliante. Comme s’il eût voulu faire survivre sa politique à sa personne, Pie IX a d’avance lié ses successeurs, les condamnant, s’ils ne veulent l’imiter, à une sorte de désaveu de sa conduite, de sa doctrine même. Dans sa célèbre allocution consistoriale du 12 mars 1877, le vieux pontife n’a pas craint de déclarer traître à l’église quiconque tenterait une transaction, un accommodement avec les envahisseurs des états ecclésiastiques. Dans cette allocution, qu’on peut regarder comme son testament, et qu’il a pris soin de faire commenter par tout l’épiscopat, le pape a proclamé une dernière fois l’incompatibilité absolue de l’indépendance pontificale et de l’unité italienne. A Rome, a-t-il dit, le chef de l’église ne peut être que souverain ou captif.

Et pour Pie IX ce singulier dilemme n’était pas une métaphore ou une antithèse de rhétorique, c’était un axiome qu’il prenait à la lettre, un principe qu’il prétendait ériger en système. Du 20 septembre 1870 au 7 février 1878, Pie IX n’a point cessé de se considérer comme prisonnier. C’était avec une sincère conviction qu’il s’enfermait dans le Vatican, comme s’il y eût été assiégé par la révolution, et qu’il remettait en honneur le culte des chaînes de saint Pierre, comme si la papauté en fût revenue aux persécutions de Néron ou de Dioclétien. De la part de Pie IX, un tel confinement volontaire se pouvait comprendre. Pour lui personnellement, cette réclusion avait bien des raisons de convenance, mais aux yeux de Pie IX et de son entourage tous ces motifs personnels étaient secondaires. Ce n’était pas le souverain dépossédé qui répugnait à se donner en spectacle à ses sujets de la veille, et à contempler dans les rues de son ancienne capitale les écussons et les drapeaux de l’usurpateur ; c’était le pontife, le vicaire du Christ, qui refusait d’exposer ses yeux au scandale du dehors, devoir la ville des apôtres profanée par la liberté des cultes et la liberté de penser, souillée par les prédications des hérétiques et des révolutionnaires. La réclusion de Pie IX était avant tout une protestation contre la sécularisation de la Jérusalem catholique.

En demeurant plus de sept ans confiné au fond du Vatican, en mettant fin aux solennelles cérémonies de l’église romaine, le dernier pape-roi a voulu créer une tradition, il a voulu imposer à la papauté un deuil dont le relèvement de la royauté pontificale pouvait seul marquer la fin. Désormais, au lieu d’un pape souverain, il ne devait y avoir à Rome qu’un pape captif : le vicaire du Christ ne devait franchir le seuil du Vatican que pour remonter sur le trône. En attendant cette chimérique restauration, Pie IX n’a laissé à ses successeurs d’autre choix que de paraître le démentir, s’ils ne suivent pas son exemple, ou, s’ils le suivent, de devenir à la