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C’était la condamnation de la royauté papale. Le jour allait venir où, abandonné à lui-même, ce trône incapable de se soutenir seul devait s’effondrer.

Le destin de Pie IX a été d’assister à la chute du pouvoir temporel des papes. Ce fut pour sa noble vieillesse une peine d’autant plus cuisante qu’il comprenait moins les causes de cette fatale disparition d’une royauté séculaire, et qu’il se pouvait reprocher d’en avoir par ses imprudences accéléré la fin. Comment s’étonner qu’un prêtre d’un esprit plus élevé qu’étendu n’ait su ni prévoir une telle chute ni s’y résigner ? Il est aisé de regretter qu’au lieu de se la laisser arracher du front, la papauté n’ait pas de sa main rejeté cette couronne terrestre comme un ornement suranné. Un tel sacrifice eût demandé autre chose que de la générosité, il exigeait une intelligence des temps, une hardiesse de vues, que l’on ne saurait raisonnablement attendre de l’église et de l’éducation ecclésiastique. Pie IX, croyant convaincu, était sincèrement persuadé que la chaire de saint Pierre ne pouvait être libre qu’appuyée sur un trône. Il ne voyait pas que ce trône chancelant, et déjà plusieurs fois renversé, au lieu d’être le soutien du siège apostolique, en était lui-même soutenu. Il ne voyait pas que dans l’Europe moderne, au milieu des grands états militaires, un petit état de troisième ou quatrième ordre, un mince royaume de 3 millions d’habitans, ne lui pouvait plus guère donner ni force ni indépendance effective. Le vieux pape ne voyait qu’une chose, c’est qu’en perdant ses états temporels la papauté perdait une dignité, et la tiare une couronne ; c’est qu’en cessant d’être souverain le chef de l’église, la source légitime de toute autorité sur la terre, deviendrait le sujet d’un prince ou d’un peuple. Une telle sujétion révoltait son orgueil de pontife et sa foi de maître des âmes. C’était pour l’église une spoliation, pour la papauté une déchéance, que le Dieu dont il se sentait le vicaire ne pouvait tolérer. Aussi a-t-il cru faire son devoir en mettant au service de cette royauté terrestre toutes ses forces personnelles et toute sa puissance spirituelle, « ne cessant pas un jour de lutter pour le patrimoine de l’église, ne cédant le terrain que contraint par la violence, et, quand il ne lui restait plus d’autres armes, combattant avec la voix, les exhortations et la prière[1]. »

Est-il vrai que pour un chef religieux il ne puisse y avoir d’indépendance que dans la souveraineté ? A prendre une telle maxime à la lettre, la pensée et la parole humaines ne sauraient être libres que sur le trône. Peut-être une telle conception n’est-elle qu’une notion d’un autre âge, un souvenir de l’époque de violences et de

  1. Allocution consistoriale du 12 mars 1877/