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chrétien, le pape se rendit aux leçons de la Providence et aux conseils de son entourage ; il se dit, lui aussi, que la papauté ne pouvait être ni italienne ni constitutionnelle. Quand les troupes de la France et de l’Autriche l’eurent rétabli dans son royaume terrestre, il eut garde de reprendre l’œuvre de ses premières années, il eut garde de rendre à ses sujets une constitution, des ministres responsables, une administration laïque. Le gouvernement français, qui le maintenait sur le trône à l’ombre du drapeau tricolore, eut beau pendant vingt ans lui demander des réformes, Pie IX avait compris qu’entre la souveraineté ecclésiastique et l’esprit moderne il n’y avait ni alliance ni compromis possible. Et lorsqu’en 1859 les armées françaises vinrent affranchir l’Italie, quand, après Villafranca, Napoléon III offrit à Pie IX la présidence d’une confédération italienne, le pape, qui semblait inopinément libre de réaliser les rêves les plus hardis de ses premières années, n’y voulut voir qu’un leurre et un piège. Il ne restait rien du Pie IX libéral de 1847, le souverain restauré était devenu le plus ardent adversaire des utopies qu’il avait eu l’imprudence d’encourager. Du jour où il eut éprouvé que le libéralisme était inconciliable avec les intérêts du saint-siège, Pie IX en devint l’irréconciliable ennemi. Il lui fit une guerre personnelle, et d’autant plus acharnée que plus confiantes et plus naïves avaient été ses premières illusions, plus amer son désenchantement. Dans ce combat de trente années, Pie IX porta les rancunes des espérances trompées, les ressentimens d’un esprit déçu, l’indignation d’un cœur blessé.


II

Entre Pie IX et les libéraux, entre la péninsule et le saint-siège, la mutuelle confiance des premières années n’était qu’un malentendu. Le pape et l’Italie furent tous deux désabusés en même temps ; d’un côté comme de l’autre 1848, avait dissipé les derniers rêves guelfes. Les vers de Dante maudissant l’accouplement de la crosse et de l’épée étaient revenus à la mémoire des patriotes comme une sentence irrévocable. Entre le pape-roi tant acclamé de la péninsule et l’Italie naguère bénie par le pontife, tout lien était brisé. Ce qui pour l’un était protection était oppression pour l’autre. Si Pie IX put encore régner vingt ans dans Rome, ce fut à l’abri des baïonnettes françaises. En rompant définitivement avec l’esprit national, la monarchie ecclésiastique avait à jamais perdu tout point d’appui, toute base dans ses propres états : elle ne reposait plus sur le sol. Pour la rétablir il avait fallu une intervention étrangère, pour la maintenir il fallait une occupation étrangère.