Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abominable, mais cela est. » Chose curieuse, De Serre se trouvait ramené au point où il ralliait de nouveau les voix libérales, où les « ultras » le représentaient comme un « jacobin, » où des amis, des cliens n’osaient voter pour lui sous l’œil d’une administration ennemie. Et voilà comment on traitait un homme qui avait sacrifié sa popularité dans l’intérêt des royalistes, qui était encore ambassadeur du roi ! On avait prodigué les excès de gouvernement, on avait poussé les efforts « jusqu’à la virulence et à l’indécence, » selon le mot du premier président de Chevers, et malgré tout il n’avait manqué à De Serre que quatre voix pour atteindre la majorité au scrutin. Cette différence de quatre voix, suffisait pour envoyer au parlement un concurrent inconnu qui n’a pas même laissé un vestige dans l’histoire !


IV

Quand le résultat des élections fut connu à Naples, De Serre en fut vivement impressionné ; il ne s’y attendait pas, il croyait encore au succès., « J’étais alors à Naples, a dit M. Duvergier de Hauranne, et au moment où le courrier arrivait, j’appris tout à la fois de la bouche de M. de Serre lui-même l’échec de mon père et le sien. Je vois encore l’expression de sa figure, et j’entends l’accent de sa voix quand il m’annonça le coup imprévu qui le frappait. » Il voyait en effet la carrière se refermer devant lui, et il se sentait rejeté indéfiniment dans un exil mortel ; il était surtout blessé de l’hostilité violente d’un gouvernement qu’il avait servi avec éclat et dont il restait l’honneur. Il se contint néanmoins, et ce n’est qu’après quelques semaines qu’il répondait à une lettre de M. de Villèle avec un certain calme où perçait la fierté : « Vous me dites que vous n’avez pas compris mon désir d’être député. Je vous assure que, si je ne l’eusse pas manifesté, nombre de personnes, et des meilleurs serviteurs du roi, m’auraient taxé d’une indifférence qu’ils auraient peut-être nommée plus sévèrement. Je n’étais pas préparé à votre opposition ; à peine maintenant je la comprends encore. Elle a fait toute la difficulté de ma situation. Je me suis demandé quel était le devoir ; j’ai tâché de le faire, et ainsi l’on attend tranquillement l’avenir ! » Il restait volontairement mesuré et froid. A Chateaubriand, il écrivait avec une vivacité plus libre et plus confiante, comme un homme qui comptait sur quelque occasion nouvelle. A son beau-frère, M. Emmanuel d’Huart, qui l’avait servi de tout son dévoûment, il disait : « Je vous console du non-succès. Mieux vaudrait sans doute avoir réussi ; mais c’est quelque chose d’avoir combattu, d’avoir prouvé qu’on avait du courage et des forces… » A Niebuhr,