Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était le pape martyr, ses souffrances le rapprochaient du prince des apôtres, le rapprochaient du Christ. On raconte que devant un saint Pierre en croix, Pie IX dit un jour ; « Voilà mon portrait. » Des millions de chrétiens comparaient ses tribulations à la passion du Sauveur et voyaient de nouveau le Christ captif et crucifié en son vicaire[1]. Jamais pape, jamais homme peut-être, n’a été entouré d’un aussi tendre respect, d’une piété aussi exaltée. Il y avait dans la vénération, dans la dévotion dont il était l’objet quelque chose du culte rendu à un dieu souffrant.

Pour la plupart de ceux qui l’abordaient, Pie IX était un saint : on le révérait, on le priait comme tel. Rome se racontait ses miracles et se répétait ses prophéties ; les pèlerins se disputaient ses reliques, les miettes de son pain, les fils de sa soutane, connue après ses funérailles la paille de son lit funèbre. Pie IX, béatifié, canonisé, jouira bientôt du culte de l’église ; mais, lorsqu’il sera monté sur les autels, quand il recevrait autant d’hommages que le saint Pierre dont la bouche des fidèles a usé le pied de bronze, Pie IX ne serait pas plus honoré, il n’aurait pas de dévote plus fervens et plus convaincus que de son vivant, lorsque dans les loges du Vatican il voyait les pèlerins se presser à ses genoux et couvrir ses mains de leurs baisers.


I

L’élévation au trône pontifical du cardinal Mastaï Ferretti fut pour Rome, pour le conclave même une surprise, presque une déception. On savait peu de chose du nouvel élu, et il y avait peu de chose à en apprendre, rien qui pût faire présager le rôle du souverain ou du pontife. Sauf un voyage d’un ou deux ans au Chili, à la suite d’un vicaire apostolique, le successeur de Grégoire XVI n’avait fait que parcourir régulièrement le cursus honorum d’une carrière romaine, tour à tour abbé, prélat, évêque, cardinal. Ce qu’il y avait de plus notable dans cette existence ecclésiastique, c’est qu’elle n’avait point commencé dès l’enfance. Au lieu d’avoir, comme tant de ses compatriotes, grandi sous la soutane, le jeune Mastaï ne s’était consacré à l’autel qu’à l’âge d’homme. Ce n’est qu’à vingt-quatre ans, en 1816, qu’il quitta les vêtemens séculiers, ce n’est qu’à vingt-sept ans, en 1819, qu’il dit sa première messe. Sa vocation lui vint de la déception de ses espérances mondaines. Avant de se vouer à l’église, le futur pape avait voulu

  1. Veggio……….
    E nel vicario suo Cristo esser catto,…..
    (Dante, Purgatoire, XX.)