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l’avait dégoûté ; le départ des De Serre avait été un chagrin pour lui. « Je suis, écrivait-il, dans la situation où l’on se trouve après un feu d’artifice et lorsque l’obscurité profonde succède aux clartés qui embrasaient le ciel… A présent, Paris m’est insupportable, et je vous le demande, n’en êtes-vous pas la principale cause ? Après vous que m’y reste-t-il ? que voulez-vous que j’y fasse ? J’ai horreur des salons, des courbettes, de toutes ces figures sans cesse tournées vers les puissans… » Le pauvre Froc de La Boulaye était souvent fort partagé en tenant à rester toujours sincère. Il ne voulait pas laisser ignorer à De Serre les sentimens qui ne cessaient de se tourner vers lui, et il ne voulait pas non plus le tromper sur une situation qui ne laissait prévoir aucun changement prochain. Tantôt il écrivait à son ami : « J’ai eu des visites… Il a été question de vous, on ne s’accoutume pas à votre absence, on vous regarde comme une balle lancée sur Naples et qui doit rebondir… » Tantôt, comme s’il craignait d’en avoir trop dit et d’avoir excité des espérances prématurées, il reprenait : « On me parle de vous, mais il ne faut pas se faire illusion, on ne s’occupe ici que de ce qu’on a sous les yeux. Il n’est pas plus question de vos anciens collègues que du dernier ministère de Louis XV, et l’on n’y parle pas de Decazes que du duc d’Aiguillon. Vous faites exception parce que les débats des chambres vous rappellent aux esprits dans les momens difficiles. On entend bien parler de vous, on répond sur le même ton, et de la même haleine on loue tout ce qui fait du bruit. Les délicats sont rares, les fidèles plus rares encore ! .. Vous voyez où le flot nous porte : bien des gens trouvent que l’on ne va pas assez vite… »

Le flot portait de plus en plus aux exagérations de la droite : le sincère Froc de La Boulaye ne s’y trompait pas, et il ne le déguisait pas. Il y avait des momens où il redoutait de voir De Serre quitter sa paisible ambassade de Naples pour rentrer dans cette arène de passions meurtrières ; il y avait aussi des momens où il ne pouvait se défendre d’une certaine amertume en présence des excès de la droite, où il rêvait pour son ami je ne sais quel rôle de chef d’une opposition royaliste, constitutionnelle, tenant tête aux ultras. « Vous êtes triste, écrivait-il alors. Je le conçois ; de mon côté, je suis profondément affligé ; nous sommes jetés dans de funestes voies. Tous les ministres qui se sont succédé depuis la seconde restauration ont pu commettre des fautes ; mais que de bien, n’ont-ils pas fait ! Libération du territoire, réhabilitation de nos finances, développement du commerce, de l’industrie, respect pour les lois, sécurité pour les personnes : tout a prospéré ! tout a réussi,… Qu’a-t-on fait depuis quinze mois ? les esprits sont plus divisés que jamais, et nous allons commencer tardivement une guerre, — la guerre d’Espagne, — contre laquelle l’instinct national se révolte. »