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Répand en plaisanteries funèbres sur ce fiasco de l’existence, et jette une égale et souveraine ironie sur les dupes enivrées de leurs illusions et sur les victimes qui se lamentent ; ou bien enfin l’effort de ceux qui luttent contre la fatalité pour sortir de cet enfer par une suprême tentative d’affranchissement, — Quant à la philosophie elle-même, elle reste impassible, ne voyant dans le malheur sans nom de l’existence que la manifestation de la folie du vouloir, qu’un moment transitoire du développement théorique du système[1].

Oui, sans doute, dirons-nous, la philosophie ne doit avoir souci que de la vérité, mais de la vérité tout entière, non partielle, faussée ou brisée, non factice et tourmentée par des mains habiles pour la faire entrer dans l’étroite enceinte d’un système. Si nous pensons (et nous avons le droit de le penser) que la réalité est plus large et plus compréhensive, plus profonde mille fois et cependant plus claire que tous ces systèmes, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas considérer comme une philosophie définitive celle qui supprime ces indications, ces avertissemens, ces réclamations énergiques de la nature et de la vie. Ce n’est pas attendrissement banal, compassion vulgaire, c’est souci de la vérité. Avant de railler avec tant de hauteur les aspirations et les espérances au cœur de l’homme, démontrez-nous qu’elles se trompent, — Soit ! que le philosophe méprise la plainte humaine : c’est son devoir, s’il a la certitude que cette plainte n’émane pas de la conscience de l’humanité qui se sent injustement souffrir, qui proteste contre la violation de son droit et confie à un avenir inconnu le soin de justifier la justice. C’est son devoir de railler cette plainte, s’il sait de science certaine qu’elle doit se briser contre un ciel sourd et qu’elle ne doit pas avoir d’écho dans une conscience supérieure qui la recueille. Mais avant tout il faut qu’il démontre que ce sont là des illusions. Il faut surtout que des théories comme le pessimisme prennent soin de s’établir plus solidement elles-mêmes devant la raison curieuse et la logique qui ne se contentent pas de rêveries artistement enchaînées ; il faut prouver cette invraisemblable histoire de l’Inconscient, partagé en deux principes indépendans quoique identiques au fond, d’où la vie s’est échappée un jour pour venir se briser contre mille écueils dans le monde, se réfléchir dans la conscience, s’apercevoir, se repentir de s’être connue elle-même et se replonger de ses propres mains dans le néant. C’est tout cela qui aurait grand besoin de preuves en règle. N’est-ce pas résoudre la question par la question même que de

  1. Philosophie de l’Inconscient, t. II, p. 481, traduction de M. Nolen.