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que les menaces ne constituaient pas un compte courant et qu’elles avaient peu d’influence-sur la Banque ; en qualité de sous-gouverneur, il n’était que pouvoir exécutif ; le conseil des régens serait consulté, et l’on ferait connaître ses décisions aux délégués du comité central.

A deux heures, selon la coutume de la Banque, le conseil-général se réunit sous la présidence de M. le marquis de Plœuc. On lui donna connaissance de la lettre écrite par Jourde et par Varlin. La discussion s’ouvrit, elle fut très calme. Quelqu’un insista de nouveau sur le mauvais effet que produisait, parmi les défenseurs de l’ordre, l’espèce de subvention accordée aux chefs de la révolte ; cela affaiblit les sympathies et peut faire craindre qu’en cas d’attaque on ne se porte avec mollesse au secours de la Banque. Cette observation était sans valeur en présence de circonstances si douloureusement impérieuses, elle fut énergiquement combattue au nom du salut même de l’établissement. La Banque se trouvait en face de deux dangers qu’il fallait avoir le courage d’envisager froidement, afin de les savoir éviter, fût-ce au prix d’un sacrifice considérable : d’une part une entrée de vive force qui amènerait la destruction du portefeuille des valeurs et du dépôt des titres, ce qui constituerait une calamité effroyable, car c’est là une grande partie de la fortune publique. D’autre part, si le comité central imposait un gouverneur de son choix à la Banque, le désastre ne serait pas moins grave, car la fabrication sans mesure ni limite des billets produirait la ruine de la Banque et celle du pays ; il faut faire comme les vaisseaux assaillis par la tempête : carguer les voiles et courir dans le vent pour ne point sombrer. Ces sages conseils prévalurent ; on décida que l’on était lié par l’engagement pris la veille de donner un million au comité central ; que, si le complément était exigé, il serait versé ; mais qu’il était préférable de payer en deux fois afin d’éviter une réquisition trop rapprochée. Tout en adoptant ces mesures, le conseil déclara que sous aucun prétexte l’argent ne serait porté au ministère des finances, car cela était contraire aux usages de la Banque de France. Les délégués seraient prévenus et feraient prendre quand il leur conviendrait la somme mise à leur disposition. A quatre heures et demie, les délégués des délégués vinrent réclamer le solde du million : c’étaient E. Faillet, receveur-général des contributions directes, et G. Durand, caissier central au ministère des finances ; ce dernier était un ouvrier bijoutier subitement promu à cette haute situation par la grâce du 18 mars. Pour cette circonstance, ils s’étaient passé des revolvers à la ceinture ; cela n’effraya personne, et ils se contentèrent d’emporter 350,000 francs, promettant de venir en chercher autant le lendemain, ce qu’ils n’eurent garde d’oublier.