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une foule désarmée. Les amis de l’ordre furent fusillés à bout portant par ceux qui ne l’aimaient pas. Le bruit de la détonation parvint jusqu’à la Banque et y retentit dans tous les cœurs. Le commandant Bernard expédia immédiatement quelques hommes pour savoir les nouvelles. Celles que l’on rapporta furent bien mauvaises ; on citait le nom de plusieurs morts et parmi ceux-ci M. Hottinguer, régent de la Banque de France, qui le matin même avait assisté avec M. Chazal, le contrôleur, à la difformation des clichés à billets hors de service. Fort heureusement la nouvelle était exagérée ; M. Hottinguer n’était que grièvement blessé ; il était tombé aux côtés de M. Henry de Pêne et près du colonel Tiby, qui ne devait plus se relever.

L’impression produite dans Paris, lorsqu’on y apprit ce guet-apens, fut énorme ; on était absolument exaspéré et prêt à se jeter dans une lutte sans merci contre cette bande de loups enragés qui se ruaient sur la pauvre ville blessée par un long siège et affaiblie par sa défaite. La honte de ce que l’on supportait, l’horreur de ce que l’on aurait à supporter avaient exalté les esprits les plus calmes, et, si dans la soirée Versailles eût expédié quelques mille hommes escortant un convoi de munitions, il est fort probable que le fœtus de la commune eût été écrasé et ne fût jamais parvenu à terme. Ceci fut parfaitement compris à la Banque, où l’on s’attendait à subir un assaut prochain. Le personnel inférieur surtout, celui des plantons, des garçons de recette, des garçons de bureau, était hors de lui, et résolument il demandait à combattre. Il semblait dur à ces hommes droits et loyaux d’obéir à de crapuleux vainqueurs et de rester immobiles, lorsqu’à leur porte même on assassinait les honnêtes gens. Il fallut calmer cette ardeur, qui, pour être très honorable, n’en était pas moins intempestive, et rappeler que la Banque de France, institution exclusivement financière, était fermement décidée à se défendre, si on l’attaquait, mais que, sous aucun prétexte, elle ne devait sortir de chez elle pour aller chercher des ennemis qui jusqu’alors l’avaient respectée. On eut quelque peine à apaiser le bouillonnement de cette honnête colère. Pendant la nuit, il y eut une alerte dans le quartier, et l’on crut bien, cette fois, que la fusillade allait s’engager. Les fédérés, enivrés de leur victoire du matin et contemplant avec orgueil la rue de la Paix trempée de sang, crurent qu’il leur suffisait maintenant de sonner du clairon et de marcher en débandade pour s’installer en maîtres où bon leur semblerait. L’occupation de la place de la Bourse et des environs par les bataillons « tricolores » les taquinait, et à ceux-ci ils voulurent substituer les bataillons « rouges. » La Villette et Belleville, les deux bourgs pourris de l’insurrection permanente, fournirent le