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bientôt par la seule force des choses réduit au rôle de satellite du délégué aux finances. Sa nature sombre, silencieuse, était fort capable de frénésie ; il se composait volontiers et semblait profond lorsqu’il n’était que vide. Dans son milieu, il passait pour intelligent, un peu comme les mulâtres qui paraissent blancs parmi les nègres. En somme, c’était alors un garçon de trente-deux ans, assez « en dessous, » d’une ambition démesurée, se payant de phrases aussi creuses que sonores et haïssant une société où il ne trouvait pas la place qu’il n’avait rien fait pour mériter. Le 18 mars l’avait fort étonné et très peu rassuré. Dès le principe, il avait compris que le triomphe ne serait qu’éphémère et que la défaite était inévitable. En qualité de membre du comité central, il assista à plusieurs réunions dans lesquelles les maires de Paris essayaient de trouver une base de conciliation possible ; il s’y montra très troublé, très anxieux ; il se rapprochait volontiers de René Dubail, maire du IXe arrondissement, qui dans ces tristes circonstances fut d’une droiture et d’une énergie irréprochables ; il lui faisait part de ses craintes. « Est-ce qu’on nous persécutera, est-ce que l’on va nous mettre en prison ? » lui disait-il. René Dubail lui répondait : « Non, le gouvernement s’est engagé à ne poursuivre que les insurgés qui ont pris part au meurtre des généraux Lecomte et Clément Thomas ; soyez donc en paix ! » Cela ne calmait pas Varlin, qui savait bien que, dans la journée du 18 mars, il avait été chargé de commander les forces insurrectionnelles du XVIIe arrondissement.

C’était sur Jourde, c’était sur Varlin que retombait la charge fort pesante de subvenir aux besoins du comité central dont chaque membre, sans se préoccuper des ressources disponibles, signait volontiers des mandats ; « le peuple » était le maître, on eût été imprudent de rejeter ses demandes : coûte que coûte, on payait les ordonnancemens, et l’argent fondait littéralement entre les doigts inhabiles qui avaient à le manier. L’évacuation, la fuite du gouvernement sur Versailles avait été si précipitée, que l’on n’avait pas eu le temps dans plus d’une administration de vider les caisses et d’en emporter le contenu. Le comité central avait trouvé 4,638,112 fr. au ministère des finances, et l’Hôtel de Ville avait remis à Jourde 1,284,477 fr., sur une somme de 1,700,000 fr. que l’on y avait abandonnée. Qu’était devenu le surplus, il est difficile de le dire, car il a été impossible de le savoir d’une manière absolument positive. On a prononcé des noms que nul document irrécusable ne nous permet de répéter. Il est probable toutefois que l’arrestation dont un membre du comité central et de la commune fut l’objet à la date du 1er avril se rattache à cette affaire, qui reste encore fort obscure. Ce que nous pouvons affirmer, c’est que la somme disparue n’a jamais été retrouvée. Malgré le million donné par la Banque,