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connais, il est venu ici ce soir, mais il est parti : il dîne chez un restaurateur du quartier et a expressément défendu qu’on le dérangeât ; voyez le secrétaire-général. — Il y avait donc un secrétaire-général. On conduisit M. Mignot près d’un simple fédéré qui était chargé de ces hautes fonctions ; c’était un beau parleur, arrondissant ses coudes et ses phrases, fort poli du reste, très empressé à satisfaire M. Mignot, et qui se nommait Edouard Merlieux. Il rédigea immédiatement une instruction aux officiers payeurs des bataillons non soldés pour leur enjoindre de se rendre le lendemain 21 mars au ministère des finances, où les fonds versés par la Banque seraient tenus à leur disposition. Ayant signé cette paperasse, il la remit à M. Mignot et, lui montrant son nom, il lui dit avec un sourire mélancolique : — C’est peut-être ma tête que je joue en vous donnant ceci ! — En toute hâte, M. Mignot revint à la Banque, où l’on commençait à s’inquiéter de son absence prolongée et, grâce au précieux certificat, l’on put repousser les demandes que les officiers payeurs accentuaient déjà avec une insistance menaçante[1].

Dans la journée du 21, on se préoccupa de renforcer le bataillon de la Banque afin de pouvoir avec certitude résister à l’attaque que l’on redoutait. M. Chazal se mit en rapport avec M. Méline, adjoint à la mairie du Ier arrondissement, et trois compagnies du 196e bataillon furent dirigées sur l’hôtel de la rue de La Vrillière. Le commandant, qui était un fédéré, ne se souciait pas de garder ce poste « réactionnaire, » et il s’empressa d’emmener une bonne partie de ses hommes, dont quelques-uns, fort heureux de se trouver à la Banque, n’en voulurent plus sortir. M. Chazal se rendit également à la mairie du IIe arrondissement, s’aboucha avec les adjoints, avec le colonel Quevauvilliers, et prit avec ces messieurs quelques mesures de préservation. Il fut convenu que la Banque servirait de point central pour la défense entre le Ier et le IIe arrondissement. On fut au moment d’adopter un plan de barricades qui, protégeant à longue distance les approches des rues de La Vrillière, Radziwill, Baillif et Croix-des-Petits-Champs, ferait de tout ce quartier une vaste place d’armes dont la Banque formerait la forteresse principale. On réfléchit que cela serait bien imprudent, que ça ressemblerait à une provocation, et, à regret, on abandonna ce projet


  1. « Ministère des finances, cabinet du ministre. Paris, 20 mars 1871. — Comme plusieurs bataillons de la garde nationale de Paris, faute d’informations suffisantes, ne se sont pas présentés ; s’il se rendait à la Banque de France des officiers payeurs des bataillons non soldés, prière de les envoyer demain mardi, 21 courant, à partir de neuf heures du matin, au ministère des finances, où les fonds fournis par ladite Banque sont à leur disposition. — Par délégation du comité : EDOUARD MERLIEUX.