Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Bourbon a commis un grand acte de déraison ; elle a brisé, au moment où il pouvait lui être le plus utile, l’instrument qui lui avait déjà rendu de si grands services. La destruction du second ministère du duc de Richelieu a été, voyez-vous, plus qu’une faute politique : elle a été un véritable crime[1] ! »


III

Au premier moment, en apparence, il est vrai, ce n’était qu’un ministère royaliste succédant à un ministère royaliste. Les libéraux, comme pour s’excuser d’avoir aidé au dénoûment du 14 décembre, affectaient de ne voir aucune différence entre les ministres de la veille et les ministres du lendemain. En réalité tout avait changé. Ce qui venait de disparaître dans une échauffourée de parlement et de cour, c’était réellement tout ce qui restait des inspirations modératrices de 1816, du gouvernement du centre ; ce qui rentrait au pouvoir c’était l’esprit de 1815 à peine mitigé par l’expérience avisée de M. de Villèle. Les obligations mêmes, les influences que devait subir le nouveau cabinet rendaient à l’ancien son vrai caractère, et, comme pour ajouter le pathétique du drame à ces révolutions ministérielles, il y a je ne sais quoi d’émouvant dans la destinée de ceux qui avaient représenté avec le plus d’autorité et d’éclat la politique vaincue, — le duc de Richelieu et De Serre. L’éclipse définitive des hommes suit de près l’éclipse du système.

Avant que six mois fussent passés, le duc de Richelieu avait le premier disparu de la scène qu’il avait illustrée de sa probité. Au printemps de 1822, on apprenait à la fois sa maladie et sa mort. Personnage européen par ses relations, par son crédit auprès du tsar, patriote de cœur, par instinct de race, lié à l’ancienne monarchie par les traditions, mais assez éclairé pour ne point partager les passions des « ultras, » pour sentir le danger des réactions, âme simple et modeste avec les délicatesses d’une généreuse fierté, le duc de Richelieu avait fait de la droiture une politique. Il avait été le garant de la France devant l’Europe pour la libération du territoire, il croyait pouvoir être le garant de la vieille royauté devant la France nouvelle : c’était l’œuvre qu’il avait poursuivie avec l’ardeur d’une nature sincère. Il n’avait éprouvé aucun regret, aucune amertume en quittant une première fois le pouvoir. L’échec de son second ministère lui avait laissé, au contraire, une profonde blessure. Son honnêteté avait été offensée des intrigues de partis sans scrupules ; sa raison restait émue des périls que courait

  1. Voyez le livre sur Étienne-Denis Pasquier, chancelier de France, par M. Louis Favre.