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Le ministère semblait vouloir éviter le combat, les chefs de l’extrême droite le recherchaient à tout prix : ils, cherchaient le combat par une phrase de l’adresse qui mettait en doute la dignité de la politique extérieure suivie par M. Pasquier ; ils le cherchaient aussi à propos d’une loi sur la presse, sur la prolongation de la censure. M. de La Bourdonnaye et M. Delalot ne craignaient pas d’aller demander l’alliance de Royer-Collard et de ses amis pour en finir avec le ministère. La crise était dans l’air, et ici une dernière fois s’élevait la question la plus délicate : que pouvaient et que devaient faire les libéraux modérés, dont l’intervention redevenait décisive ?

Le ministère, il est vrai, avait rompu avec eux ; il les avait profondément blessés, et il ne faisait rien pour les apaiser ou les rallier ; y avait-il cependant quelque intérêt ou quelque prévoyance, non-seulement pour des hommes comme Royer-Collard et ses amis, mais pour des hommes comme Foy, Casimir Perier, à prêter main-forte aux royalistes qui s’impatientaient au seuil du pouvoir, qui menaient l’assaut contre le cabinet ? C’était toute la question. Victor Cousin a raconté une scène qui aurait eu lieu chez lui, où se seraient rencontrés Royer-Collard, M. Humann. On avait discuté sur ce qu’il y avait à faire, sur ce qui valait le mieux, de laisser vivre le ministère Richelieu avec De Serre, M. Pasquier, M. Lainé, ou de frayer le chemin à un ministère de royalisme pur qui ne durerait pas six mois, — on le croyait alors, — et préparerait une revanche prochaine, décisive pour la cause libérale. À cette scène assistait Santa-Rosa, un proscrit piémontais, victime de la dernière révolution de Turin, qui était naturellement de ses vœux avec les libéraux français, mais qui avait une mâle raison. « Votre devoir de bon citoyen, disait-il à Cousin, est de ne pas combattre un ministère qui est votre dernière ressource contre la faction ennemie de tout progrès. Il n’est pas permis de faire le mal dans l’espérance du bien. Vous n’êtes pas sûrs de renverser plus tard MM. Corbière, et de Villèle, et vous êtes sûrs de faire le mal en leur livrant le pouvoir. Pour moi, si j’étais député, j’essaierais de donner de la force au ministère Richelieu contre la cour et le côté droit. » On donnait tout bas raison au sage proscrit, on se laissait aller en réalité à une tactique qu’on croyait habile, et la coalition ennemie éclatait dans les votes sur la phrase insultante de l’adresse, sur les préliminaires de la loi de censure.

Un instant encore, il est vrai, des amis du ministère avaient essayé de détourner le coup, de dissoudre la coalition et de rallier une majorité royaliste. M. Pasquier, qui au fond payait de la haine particulière des « ultras » la politique relativement libérale qu’il suivait dans les affaires d’Italie, M. Pasquier proposait de se sacrifier ;