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y décerner les couronnes. Ménagez-vous, ne vous dépensez pas en escarmouches, couvez vos idées, vos desseins, vos projets. Entretenez notre excellent duc qui vous honore et vous croit… »

De Serre avait certes besoin de se ménager, d’aller réparer sa santé au Mont-Dore, et il avait besoin aussi de cet éclat d’éloquence qui faisait sa force, qui restait l’espoir de ses amis, pour n’être pas emporté du premier coup dans le conflit croissant des partis. Plus que tout autre, il était engagé pour le ministère, pour lui-même, au plus épais d’une mêlée où il se sentait à demi isolé, faiblement soutenu, assailli d’hostilités et d’accusations contraires. Entre la gauche et lui, c’était désormais un duel implacable. Les libéraux, exaspérés contre le garde des sceaux, contre ce qu’ils appelaient ses apostasies, ses défections, ses ingratitudes envers ses amis les plus intimes, ne lui épargnaient ni les récriminations, ni les provocations, ni même les outrages. Ils ne laissaient échapper aucune occasion de le harceler, de le pousser à bout, tantôt à propos du drapeau tricolore, tantôt à propos d’un règlement de la chambre ou du budget, et il y avait des jours où le généreux Foy lui-même éclatait en violentes apostrophes. La gauche, à vrai dire, avait affaire à un rude jouteur qui ne laissait aucune agression impunie.

On l’attaquait dans son passé, dans sa politique du moment, souvent dans son caractère ; — il faisait face intrépidement. Lorsque le libéral Girardin croyait embarrasser le garde des sceaux en lui rappelant ses discours d’autrefois contre la droite, et ajoutait injurieusement que « rien ne pouvait étonner de la part de celui qui avait fait à la tribune l’éloge d’une assemblée honteusement fameuse, » De Serre relevait aussitôt le défi ; sans rien désavouer de son rôle libéral en 1816, il rétablissait le sens de ses paroles sur la convention et il ajoutait avec fierté : « Au surplus, lorsque dans des temps difficiles je me suis livré tout entier pour couvrir des hommes qui s’étaient compromis, lorsque je n’ai peut-être pas assez craint de me compromettre moi-même, ils s’emparent des paroles que j’ai prononcées pour leur défense, eux qui se taisaient alors, qui se cachaient peut-être, ils s’en emparent, dis-je, aujourd’hui pour les tourner contre moi ! Vous êtes Français, messieurs, et vous savez comment cela s’appelle ! .. » A ceux qui l’obsédaient sans cesse du souvenir de ses alliances, de ses engagemens avec l’opposition, il répondait qu’à son entrée au pouvoir il avait écouté en effet tous ceux qui avaient bien voulu lui communiquer leurs vues politiques, et, fixant son regard sur la gauche, il ajoutait : « J’ai tout observé, tout étudié, tout pénétré, et c’est en pleine connaissance de cause que j’ai choisi… Du moment où les principes que je désigne comme anarchiques et révolutionnaires ont été émis à cette tribune par les membres de l’opposition qui siègent ici, je les ai le premier et le