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soumise à un retour éventuel d’adversaires prêts à se combattre sur les ruines de ce qui lui reste d’indépendance ? Quelle serait sa position à elle le jour où Russes et Anglais, à bout de négociations inutiles, croiraient devoir tout simplement rentrer, les uns dans leur camp, les autres à leur mouillage ? — Rien n’était plus simple que d’accepter en principe cette proposition d’une retraite simultanée, d’autant plus que c’était pour le moment sans conséquence. Quand on en est venu à la pratique, la combinaison s’est presque évanouie ; les impossibilités de toute sorte ont éclaté, elles étaient à peu près inévitables, et elles sont peut-être insurmontables.

La vérité est que de part et d’autre on a été conduit par les événemens à une situation violente d’où l’on ne sait plus comment sortir et que suffit à caractériser cette proposition d’un armistice à peine déguisé là où il n’y a point une guerre déclarée. Au point où en sont les choses, réussît-on même à trouver le moyen de combiner cette double retraite d’une armée et d’une flotte, on ne serait pas beaucoup plus avancé ! La diplomatie n’aurait qu’une modeste victoire qui éloignerait provisoirement des forces rivales sans toucher au fond du débat. La question qui divise l’Angleterre et la Russie est d’une bien autre portée, d’un ordre tout politique. Elle est apparue le jour où le traité de San-Stefano a été connu et où la proposition d’un congrès a été faite. Il s’agit de savoir si un état même victorieux a le droit de substituer un traité fait par lui seul à des traités qui lient toutes les puissances, si l’Orient, tel qu’il est, dépend d’une influence unique, prépondérante, ou s’il relève de la juridiction de l’Europe qui l’a reconnu et garanti. La Russie n’a cessé de répéter depuis quelque temps qu’on lui faisait de mauvaises querelles, qu’elle avait livré le traité de San-Stefano à toutes les puissances, que tous les cabinets restaient maîtres de l’examiner, de proposer les modifications qu’ils croiraient utiles. S’il en était sérieusement ainsi, si le cabinet de Saint-Pétersbourg ne gardait aucune arrière-pensée, pourquoi hésiterait-il à soumettre le traité, œuvre de ses conquêtes, à l’autorité d’une solennelle délibération diplomatique, comme on le lui demande ? Il n’y aurait pas vraiment de difficulté, et cependant, on le sent, cette difficulté existe et persiste.

Elle est dans l’idée que se fait évidemment la Russie de l’autorité de ce congrès qu’elle a l’air d’invoquer ; elle est dans la prétention quelquefois avouée, toujours sous-entendue qu’a le cabinet de Saint-Pétersbourg de ne reconnaître que ce qu’il voudra dans les délibérations de l’Europe, de n’accepter que ce qui ne touchera pas essentiellement à sa politique, aux points sur lesquels portent ses prédilections calculées. La prétention du gouvernement anglais, au contraire, est que tout doit être soumis à la souveraine décision du congrès, que le seul point de départ régulier de toute délibération est dans les traités auxquels ont souscrit les puissances réunies, qui gardent leur autorité tant