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agrandi, au Champ-de-Mars, s’ouvrait sous des auspices plus graves encore. On n’était pas sous les armes sans doute, on restait sous l’impression de cet incident du Luxembourg qui allumait presque dès ce moment la guerre avec la Prusse, qui était le prélude de la conflagration de 1870, et l’exposition coïncidait avec la fin de cette expédition mexicaine, assombrie par la mort tragique de l’infortuné Maximilien. Les fastes trompeurs du temps, les visites des empereurs et des rois, les fêtes asiatiques déguisaient mal ce que la situation avait d’incertain et de menaçant. L’exposition de 1878 à son tour, comme celle de 1855, s’ouvre au milieu des péripéties d’une nouvelle guerre d’Orient, en présence de l’inconnu qui a recommencé à peser sur le monde. Aujourd’hui seulement la France n’est plus comme autrefois engagée directement au plus épais de ces luttes militaires et diplomatiques qui émeuvent l’Europe. Elle ne disperse plus son activité et ses forces, elle ne mène plus de front les interventions lointaines et les entreprises industrielles. Des événemens qu’aucun regard humain n’aurait pu lire dans l’avenir à l’époque de ses premières expositions lui ont fait un rôle à part, un rôle de recueillement volontaire, réfléchi et attentif. Sans être étrangère à tout ce qui arrive, sans abdiquer une influence que son désintéressement pourrait rendre, s’il le fallait, plus utile et plus efficace, sans renoncer au droit d’avoir une opinion dans les congrès, elle est entre toutes la nation pacifique. Ses malheurs lui ont tracé sa politique de réparation intérieure ; la neutralité, qui est la conséquence de cette politique, lui permet de faire appel indistinctement à tous les pays civilisés, de leur offrir un libre et noble asile en dehors des conflits du moment. C’est la raison d’être et pour ainsi dire l’originalité de cette exposition nouvelle, manifestation de vitalité renaissante par laquelle la France a voulu se prouver à elle-même et montrer aux autres qu’elle n’a point cessé d’être la France toujours puissante par le travail, toujours propice aux arts et aux industries, toujours fidèle à ses traditions de libérale et attrayante hospitalité.

À dire toute la vérité, même à part la guerre d’Orient, qui n’était pas dans le programme, l’idée de cette exposition nouvelle ne laissait pas d’être à l’origine passablement prématurée. On oubliait trop que nous sortions à peine de la plus effroyable crise nationale, qu’il y avait eu en peu d’années l’exposition universelle de Vienne, l’exposition de Philadelphie, et que ces déploiemens de richesses industrielles, en se multipliant, pouvaient perdre de leur prix. C’était, si l’on veut, un acte de foi dans la fortune de la France, c’était vraiment aussi un acte de témérité, une sorte de gageure. Prématurée ou non, l’idée a fait son chemin, et dès que la résolution a été prise, il faut convenir qu’on n’a rien négligé pour en assurer le succès, pour gagner la gageure. On s’est mis énergiquement à l’œuvre. Ce n’est pas seulement le Champ de Mars qui a été transformé de nouveau, comme en 1867,