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amitié pour M. de Lafayette. — Il avait raison contre la droite, qui, dans l’emportement de ses passions, menaçait tout haut les institutions nouvelles, les conquêtes sociales les plus inaliénables de 1789, et dont les déchaînemens ne faisaient qu’enflammer les instincts révolutionnaires en alarmant les intérêts nouveaux ; il était aussi dans son rôle en s’efforçant de contenir ces réveils d’ancien régime, et il ne se trompait qu’en se flattant de neutraliser les « ultras » par les royalistes sensés. — Il avait à se débattre entre deux camps ennemis, entre des irréconciliables de diverse nature, les uns voulant « le roi sans la charte, » les autres voulant « la charte sans le roi, » — et pour élever, pour maintenir entre des ennemis plus passionnés que sincères une politique de modération efficace, le ministère aurait eu besoin de tous les groupes modérateurs. Ces groupes lui manquaient, il les avait dispersés et blessés de ses propres mains. Il s’était enlevé les moyens de se dérober à cette logique de réaction qu’il avait créée lui-même, qui le poussait « du côté où il penchait, » en le livrant à ses nouveaux alliés.

Que pouvait-il faire ? Son existence était un drame où il usait ses forces en concessions sans profit ou en résistances inutiles, fatalement condamné à une retraite lente et ingrate que couvrait encore l’honneur de M. de Richelieu, qu’illustrait la parole du garde des sceaux dans des luttes qui n’étaient elles-mêmes que l’expression tumultueuse d’une situation de plus en plus menacée.


II

S’il y avait en effet un homme qui fût vraiment le ministre, la personnification expressive et saisissante de cette situation pleine de troubles intimes et de contradictions, c’était De Serre. Il ne se méprenait pas sur les difficultés, et ce qu’il avait dit dès le premier jour à M. de Barante, il le répétait sous une autre forme à M. Decazes : « Quelque route qu’on voulût prendre, elle serait hérissée d’obstacles. La nôtre nous a été, je pense, tracée par la nécessité même… Enfin, mon cher ami, si l’issue est douteuse, le devoir ne l’est pas, et c’est là un grand point de sécurité. » C’est avec cette pensée qu’il était entré dans l’expérience nouvelle sans craindre de paraître se désavouer, sans reculer devant les formidables assauts des coalitions ennemies qui l’attendaient. C’est pour cette politique qu’il avait livré la bataille des élections et qu’il restait sur la brèche pendant dix-huit mois, portant le poids d’une défense désespérée avec une énergie que les crises d’une organisation toujours ébranlée rendaient plus pathétique.

L’épreuve la plus cruelle pour lui avait été cette rupture avec