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La révolution française fut le signal d’un puissant mouvement des peuples vers la liberté. Nous n’avons à raconter ici ni les efforts du poète patriote. Rhigas de Phères à la fin du siècle dernier, ni les luttes des Souliotes de 1800 à 1803, ni celles de Nico-Zara, de Stathas, de Katzantonis et de son frère, ni les ruses sanglantes d’Ali-Pacha, ni enfin cette guerre de l’indépendance où le monde hellénique tout entier prit une part active et sacrifia 200,000 hommes. Les derniers acteurs du drame sont encore vivans, et l’un de ses plus grands héros, Canaris, vient seulement de mourir.

Déjà en 1783 un partage de la Turquie avait été réglé par la Russie et l’Autriche. On devait créer un empire grec sur le Bosphore, avec Constantinople pour capitale, et un royaume de Dacie sur le Danube. La crainte que la communauté de religion et d’intérêts entre les Grecs et les Russes ne donnât à ces derniers une prépondérance excessive poussa l’Autriche à demander pour Venise le Péloponèse, la Crète, Chypre et les autres îles. La Russie refusa, les négociations furent rompues, et l’Autriche soutint depuis lors l’intégrité de l’empire ottoman. Après la guerre de l’indépendance, il parut démontré que la Turquie n’était plus en état de garder le Bosphore ; le duc de Wellington, reconnaissant la vitalité de la civilisation hellénique et pressentant sa renaissance, laissa voir dans l’avenir la création d’un empire grec comme la seule solution du problème. L’Europe sentit alors que l’équilibre ne pouvait plus être maintenu à la rigueur ; elle créa un royaume grec ; seulement elle le créa le plus petit possible, laissant aux générations suivantes la tâche de dénouer les difficultés élevant lesquelles elle reculait.

Ce qui s’est passé depuis lors n’a pas toujours été compris, parce qu’on fait attention aux événemens, non quand ils se préparent, mais quand ils éclatent. Le raconter en détail dépasserait les limites de cet exposé. Disons seulement que depuis cinquante ans la situation relative des Russes et des Grecs s’est profondément modifiée. D’une part la doctrine du panslavisme, répudiée ostensiblement par le gouvernement de Pétersbourg, est en réalité le guide de la politique russe ; c’est ce que les faits démontrent d’année en année. D’un autre côté la fondation d’un royaume grec a créé dans le sud un centre vers lequel tous les Hellènes ont les yeux tournés, qui est le Piémont de cette autre Italie et dont la Rome est Constantinople. Sa population a plus que doublé ; en dix ans, de 1862 à 1872, son commerce a passé de 81 à 195 millions ; il a aujourd’hui 5,000 navires et 28,000 marins. Les Slaves ne sont pas un peuple maritime ; les Grecs en sont un depuis trois mille ans. Les pays hellènes s’étendent au nord jusqu’au Balkan et au Scardus et comprennent, avec Constantinople, des provinces que