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patriarcal qu’à prix d’argent, et là on était rançonné par tous les gens de la cour, même par les femmes ; on se trouvait alors chargé de dettes, puis emprisonné et quelquefois mis à mort. Dans la vie civile, les chrétiens s’administrèrent eux-mêmes, ils eurent des conseils communaux et un chef nommé géronte ou archonte par les Grecs, codjabachi par les Turcs. Cette administration répartissait entre les habitans le tribut, souvent écrasant, que le sultan leur imposait. Les Grecs jouissaient ainsi d’une apparence d’autonomie, mais les impôts étaient arbitraires, la sûreté personnelle n’existait pas, et ce régime fut tellement une des conditions de la conquête qu’il existe encore aujourd’hui dans sa plénitude, malgré des promesses solennellement répétées depuis quarante ans.

La lutte des Hellènes et des Turcs ne s’est pas arrêtée un seul instant depuis quatre siècles ; elle ne s’arrêtera pas, attendu que l’empire turc renferme dans son sein deux civilisations incompatibles. La race grecque, violemment convertie ou détruite dans presque toute l’Asie-Mineure, se concentra dans son ancienne patrie, hérissée de montagnes, et dans les îles, d’où elle eut pour refuge la mer. Son histoire, pendant ces quatre cents ans, se compose de deux périodes dont la première s’étend jusqu’au commencement du siècle dernier, et la seconde jusqu’en 1830 ; une troisième période, celle de la renaissance, se déroule en ce moment. Pendant deux cent soixante ans, les Grecs se sont insurgés en quelque sorte pour le compte d’autrui, et ont aidé quelqu’une des puissances européennes à se substituer à la domination ottomane. Refusant aux Turcs le service militaire, ils se faisaient klephtes et occupaient les montagnes, tandis que les garnisons turques tenaient la plaine et les villes. Les klephtes étaient toujours prêts à seconder quiconque venait attaquer les musulmans, et le plus souvent ils entraînaient dans la lutte leurs compatriotes sédentaires. Ils coopérèrent dès 1470 avec Venise. En 1475, presque toute la Grèce avait répondu à l’appel de Charles VIII, quand Venise et le pape arrêtèrent l’expédition française. André Doria fut soutenu en 1522 par un soulèvement du Péloponèse et d’une partie de la Grèce. Lors de l’expédition de don Juan d’Autriche et de la bataille de Lépante, en 1571, 3,000 Grecs assiégèrent Salona et, pendant deux ans entiers, 25,000 insurgés tinrent les Turcs en échec dans le Péloponèse. C’est à cette époque que la Porte crut se débarrasser des klephtes en les organisant sous le nom d’armatoles, et en les chargeant de la police des montagnes ; mais les chants populaires et les faits de l’histoire montrent que les armatoles firent souvent cause commune avec les klephtes et combattirent avec eux contre les troupes régulières du sultan. Ce sont des armatoles qui, en 1585, soulevèrent l’Épire et l’Acarnanie ; De 1603 à 1606 se