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sous les voûtes de Sainte-Sophie. » Mais il était trop tard pour se repentir. Les Turcs, il est vrai, ne vinrent pas à Rome, mais ils vinrent à Vienne ; ils y vinrent deux fois, en 1529 et en 1683 ; l’Autriche pourrait aujourd’hui s’en souvenir. En Orient, ils passèrent un même niveau sur les Latins et sur les Hellènes. Leur présence sur le Bosphore fut pour l’Europe une sorte d’amputation, rendue possible par la maladresse, la cupidité et l’ambition de prétendus médecins, plus experts dans les disputes théologiques que dans le maniement des affaires humaines. La civilisation disparut de l’Asie-Mineure, de la péninsule des Balkans, de la Grèce encore couverte de ses temples, et des îles méditerranéennes. Voilà, quant à l’Orient, le résultat qui fut préparé par les croisades et amené par les guerres et les querelles de toutes sortes que les peuples de religion romaine firent pendant deux siècles encore à l’empire qui les protégeait au soleil levant. En ce jour, une question fut posée que la diplomatie et les armées européennes débattent depuis quatre cents ans sans la pouvoir résoudre. A l’heure où j’écris, elles s’agitent anxieuses et s’efforcent, vainement peut-être, « de mettre un peu d’ordre dans la confusion que l’Europe elle-même a créée. »


IV

Les Turcs occupèrent militairement toutes les villes, y installèrent une autorité absolue, bâtirent des milliers de tours pour la garde des passages et la perception des impôts ; mais ils ne se mêlèrent pas à la population vaincue. Plusieurs causes rendirent impossible toute assimilation. En Occident, les conquérans barbares parlaient des langues aryennes comme les indigènes ; ces idiomes purent se fondre et donner naissance aux langues modernes de l’Europe. Le turc au contraire, langue touranienne, était d’une autre origine que le grec, et n’était pas parvenu au même point de développement linguistique ; les mots arabes qu’il adopta ne rendaient pas plus facile sa fusion avec le grec, puisque l’arabe est lui-même une langue sémitique, incompatible avec les idiomes aryens. Ainsi les vainqueurs et les vaincus ne purent se comprendre et demeurèrent isolés. La religion mettait un autre obstacle à leur rapprochement. Le mahométisme, que les Osmanlis avaient adopté, s’était présenté dès l’origine comme ennemi du christianisme ; il l’était en réalité par la manière dont il concevait Dieu, en niant l’incarnation et la trinité, en repoussant toute la partie mystique et toutes les pratiques de la religion chrétienne. Il fit donc à celle-ci une guerre acharnée qui maintint les populations vaincues dans un état permanent d’hostilité contre les vainqueurs. La différence des races était une troisième cause de séparation ; les Hellènes, grande