Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétiens, lui permit de se condenser autour d’une grande capitale, de civiliser ses voisins barbares, de résister au mahométisme arabe et à l’invasion continue des peuples du nord.

Comment, après s’être élevé à ce point de force, de prospérité et de vraie civilisation, l’empire grec fut-il abattu en si peu de temps ? Il ne mit en effet que deux siècles à se détruire et tomba d’abord entre les mains de princes croisés, venus de pays moins civilisés que lui. Ils n’en furent maîtres, à la vérité, que soixante ans à peu près ; mais, eux partis, l’empire ne put réparer ses forces, et après deux autres siècles il fut renversé par les Turcs et disparut entièrement. Pourtant les ennemis qui l’entouraient au XIe siècle avaient été vaincus ; en Orient, la puissance arabe avait été abattue et n’était plus à craindre ; coupée en deux et morcelée, elle ne put jamais se remettre des coups qu’elle avait reçus. En Europe, les Bulgares avaient été relégués vers le nord ou détruits ; des Slaves, ceux qui étaient restés dans les provinces grecques s’assimilaient chaque jour et s’identifiaient avec les Hellènes, les autres étaient contenus hors des frontières ; en 1043, Iaroslaw amena par la Mer-Noire 100,000 Russes vers Constantinople, se fit battre, et laissa pour deux cents ans la Russie hors d’état de nuire. Ainsi ni à l’intérieur, ni dans le voisinage ne semblait exister aucune force qui pût compromettre la sécurité de l’empire. Le mal vint de plus loin ; il vint de l’Occident. C’est l’Europe latine qui pendant deux siècles s’appliqua à détruire de ses propres mains le rempart qui la protégeait contre l’invasion musulmane. Comment fut suscitée cette lutte qui aujourd’hui peut paraître insensée et qui nous a légué cette question orientale où la politique de nos jours se perd dans d’inextricables difficultés ? Il est à propos, croyons-nous, de connaître sur ce point l’opinion des hommes les plus réfléchis de l’Orient et de suivre avec eux la marche des événemens. Leur manière de juger diffère peu de celle des historiens protestans ; mais elle s’éloigne de l’opinion des catholiques.

L’église chrétienne s’était brisée dès les premiers temps et avait produit l’église grecque et l’église latine. Il n’y avait alors aucune raison sérieuse pour que l’une fût inférieure à l’autre : il y en avait beaucoup pour qu’elles vécussent en paix, unies par des croyances communes, séparées par la langue et par l’état social des pays où elles existaient ; mais il n’y a pas d’exemple au monde de deux communions religieuses qui ne soient hostiles l’une à l’autre. L’église romaine eut une primauté reconnue par les chrétiens d’Orient tant que Rome fut l’unique capitale de l’empire. Cette raison s’affaiblit le jour où Byzance devint aussi capitale. Elle cessa tout à fait quand l’empire d’Occident fut détruit et que Rome fut aux mains des barbares. Le lecteur n’attend pas que nous traitions