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parce qu’il leur paraît impossible qu’il y ait au monde quatre têtes d’une telle force, et tantôt prétendent qu’ils sont cinq, mais c’est quand ils veulent effrayer par leur nombre. « Ils ne représentaient pas moins la raison, les lumières, les intérêts, les sentimens de cette partie de la nouvelle société française qui se ralliait sans arrière-pensée à la restauration, qui avait soutenu le premier ministère Richelieu, le 5 septembre, la politique modérée, et ils devenaient des adversaires d’autant plus dangereux qu’ils avaient été des amis. Ils ne pardonnaient pas, au ministère ses nouvelles alliances, les concessions qu’il faisait au parti de 1815, le désaveu d’un passé commun, une politique qui allait parfois, — ils le croyaient ainsi, — jusqu’à ressembler à un mélange d’empire et d’ancien régime. Ils formaient un camp d’opposition redoutable par le talent, une sorte de fronde des penseurs et de philosophes, une fronde éclairée et animée de la grâce sérieuse de cette jeune duchesse de Broglie dont un Genevois disait avec un enthousiasme familier en écrivant à Auguste de Staël : « Vous ne faites pas encore assez de cas de votre sœur. Elle grandit à vue d’œil, son esprit a des lumières perçantes. Nous ne sommes que des sots auprès d’elle, tous tant que nous sommes, et nous ne sommes pas dignes de délier les cordons de ses bottines, bien que ce fût une occupation fort agréable. »

Déjà, vers ce temps troublé de 1820, la duchesse de Broglie était, sans le chercher, sans le vouloir, par le seul ascendant d’une vertu aimable et d’une supériorité charmante, une influence de la société parisienne. Brillante de tous les dons, alliant les séductions d’une âme pure à l’éclat de l’esprit, à la justesse de la raison et du goût, elle gagnait par sa grâce les dévoûmens passionnés et elle imposait sans effort le respect. Tout chez elle attirait, la noblesse du cœur, une dignité facile, un amour inné de la vérité et de la justice, la vivacité des indignations généreuses contre le mensonge, les calculs intéressés et les tyrannies. Son salon était le rendez-vous de tout un monde intelligent, même de royalistes comme M. de Montlosier, mais surtout de ceux dont elle partageait avec son mari les opinions, la foi politique, dont elle ressentait aussi profondément les mécomptes et les disgrâces. Elle aurait dit volontiers comme sa mère, Mme de Staël : « On ne peut dans un temps de faction aimer que les battus. » Au lendemain des crises violentes, après la rupture des ministres et des doctrinaires, elle avait adressé à De Serre cette lettre qui n’était qu’une réponse : « Je vous aurais écrit la première si les circonstances ne m’avaient fait désirer de garder le silence, car, lorsqu’on se trouve arrivé à de certains points de division, les explications sont à éviter plus qu’à chercher… En exprimant tout ce que j’ai éprouvé lorsque j’ai vu frapper toutes les personnes que j’aime, que j’estime, dont je révère le caractère et l’opinion, par un