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Mais les états où l’esprit dorien l’emportait suscitèrent dans les autres et notamment dans Athènes et dans ses colonies des luttes intestines qui aboutirent souvent à de véritables troubles civils. A travers ces guerres, ces émeutes et ces révolutions, l’ancienne société n’en dirigeait pas moins ses efforts vers cette unité nationale que la présence de l’aristocratie dorienne l’empêchait d’atteindre et pour laquelle elle ne recula devant aucune épreuve. Ce qui nous intéresse surtout dans cette lutte, accomplie, il est vrai, sur un petit théâtre, mais où les idées et les acteurs prirent les plus grandes proportions, c’est que nos sociétés modernes ont passé par des phases analogues et que la plupart d’entre elles n’ont pas encore achevé leur évolution. Dans les Gaules, pour ne citer qu’un exemple, il est bien certain que la civilisation était plus prospère avant l’arrivée des Francs et des autres barbares qu’elle ne le fut un siècle après ; l’invasion arrêta l’essor que les Gaulois avaient pris pendant quatre ou cinq siècles à la suite de l’occupation romaine. Quand les barbares se furent établis, ils se trouvèrent maîtres du sol par droit de conquête, c’est-à-dire en dehors de tout droit ; ils prirent un caractère militaire et fournirent les premiers élémens de ce qui fut plus tard la noblesse française. Une grande partie de notre histoire se compose des luttes que soutinrent entre elles l’oligarchie nobiliaire et l’ancienne population, d’où sortirent les communes et le tiers-état. La révolution française et celles qui sont survenues depuis bientôt cent ans ont été comme des crises aiguës dans cette maladie qui tourmente les sociétés européennes ; elles sont caractérisées tour à tour par l’abolition ou par le rétablissement d’anciens privilèges issus de la conquête, et toujours elles manifestent dans le peuple une forte tendance vers l’égalité des conditions, vers la réalisation de l’unité nationale.

Eu Grèce, les forces relatives des deux partis s’équilibrèrent au point que cette réalisation fut impossible ; mais il fut bientôt démontré aux yeux des Grecs et du monde antique tout entier que le parti national était celui des anciennes populations. En effet, les événemens qui se passaient en Asie, pendant que les états grecs se préparaient à lutter entre eux, avaient mis une puissance énorme entre les mains de Cyrus d’abord, puis de Darius, fils d’Hystaspe. L’empire des Perses avait grandi, comme aujourd’hui la Russie, par des conquêtes successives ; il s’était annexé des royaumes entiers, dont quelques-uns, tels que l’Égypte et le royaume de Crésus, étaient très civilisés. Quand ce développement exagéré l’eut mis dans la nécessité d’atteindre les limites de l’Asie-Mineure et d’avoir pour frontière et pour débouché la mer qui en baigne les rivages, il se trouva en contact hostile avec ces cités helléniques,