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même les dangers de cette position déplorable. Je n’avais malheureusement que le choix des maux. Tout ce que je puis vous certifier, c’est que j’ai fait tout ce qu’il était en mon pouvoir de faire ; je n’ai pas réussi, et en vérité avec un homme du caractère de M. Corbière cela n’était pas aisé. Maintenant que faut-il faire ?.. » M. Pasquier, de son côté, écrivait au garde des sceaux : « Au point où les choses étaient arrivées, le rapatriage aurait eu difficilement quelque durée… Toutes ces prétentions, toutes ces exigences, outre qu’elles en présageaient d’autres avec certitude, avaient fait naître dans notre intérieur des méfiances et même des éloignemens dont les fâcheux effets se seraient fait sentir chaque jour davantage. Ce n’est pas une raison pour être satisfait de la situation présente… » Royer-Collard, quant à lui, regardant la crise pour ainsi dire du dehors et la jugeant avec un dédain clairvoyant, écrivait à M. de Barante : « Dans l’alliance du ministère et de la droite, la fraude s’est déclarée. Elle a éclaté, elle s’est en quelque sorte revendiquée. L’alliance a été rompue. Cette petite révolution aura ses conséquences qui ne tarderont pas à se faire sentir, malgré les efforts qu’on fait et qu’on fera pour les retenir… Ne vous y trompez pas, c’est le parti qui a repris ses chefs au ministère… »

Voilà où aboutissaient les relations du ministère avec la droite. Les royalistes reprenaient leurs chefs, qui subissaient peut-être « la loi à contre-cœur, » — c’était le mot de Royer-Collard, — mais qui la subissaient. Le duc de Richelieu, après avoir tant cédé, se retrouvait au même point, obligé de céder encore, de tout céder ou d’attendre l’assaut des royalistes, — et de revenir peut-être à la nécessité d’un nouveau 5 septembre. Que pouvait-il faire ? Il gardait toujours, il est vrai, la pensée de maintenir sa politique, de ne point « s’associer à un ministère de la droite pure qui ne serait en harmonie ni avec les véritables intérêts de la maison de Bourbon, ni avec les intérêts de la France, » qui, selon lui, « amènerait une catastrophe. » Ce qu’il avait voulu, il le voulait encore, et c’est là qu’éclataient les conséquences de sa rupture avec les libéraux modérés, de l’absence de cette « aile gauche » qu’il avait dispersée, sur laquelle il ne pouvait plus s’appuyer.

L’amertume en effet était au camp des libéraux modérés, des doctrinaires qui avaient tous les regrets des amitiés éteintes, des liens brisés, des opinions trompées. Le coup qui avait atteint ce monde d’élite lui avait laissé une blessure profonde, et ce qui aurait pu d’abord n’être qu’une dissidence momentanée n’avait pas tardé à devenir une scission sans retour. Ces hommes éminens par l’esprit, un peu embarrassans peut-être par leurs prétentions ou leur orgueil, étaient peu nombreux, il est vrai, et un plaisant de la gauche disait d’eux : « Ils sont quatre qui tantôt se vantent de n’être que trois,