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défroque de couvre-chef de toute sorte qui figurent tant pour le maître que pour les serviteurs ! La chapellerie était fort développée dans le pays normand. Les feutres étaient expédiés par mer de Rouen à Cherbourg. Gouberville payait les siens 25 de nos francs, ce qui ne paraît pas s’éloigner beaucoup des prix actuels. Les chapeaux achetés pour les serviteurs ne valaient guère que le tiers. Il leur achète aussi, à prix modéré, ce qu’on appelait alors des « bonnets de galère. » Ses bonnets à lui étaient en beau velours, ce qui explique qu’il faille compter par livres ces bonnets dont s’ornait la tête de notre châtelain ; ils ne coûtaient pas moins de 5 livres 6 solz en effet.

Un des grands embarras, — j’allais dire un ennui qui va jusqu’à l’impatience, — lorsqu’on se trouve en face de documens comme celui-ci, ce sont ces supputations en livres, sous et deniers. Le lecteur demande ce que cela représente, et celui qui se charge de le lui expliquer n’est pas toujours sûr de le savoir parfaitement. Qu’est-ce que la livre et que représente-t-elle au moment où Gouberville écrit ? Pour ce moment surtout, les perturbations monétaires, causées particulièrement par l’abondance des métaux de provenance américaine, rendent les calculs bien difficiles. Mais enfin, d’après des évaluations dont il y a lieu de tenir compte, la livre alors, c’est-à-dire sous Henri II, ne valait déjà plus qu’environ huit de nos francs au pouvoir d’achat de l’argent ; elle tombait à cinq francs dès la fin du règne de Charles IX. Il y aurait sans doute aussi à se demander jusqu’à quel point le niveau s’établissait, et si la baisse ne tardait pas à se faire sentir dans les campagnes. Il faut se contenter de ces à peu près. Le prix du blé nous offrira d’ailleurs pour les salaires une base qui permet d’établir d’une manière plus rigoureuse la situation de l’ouvrier, dans laquelle la nourriture tient la principale place. Tout ce qu’on peut dire ici, c’est que, ces bonnets de velours destinés à couvrir le chef d’un seigneur de campagne, et dont il faisait une ample consommation, étant payés à un prix qui ne s’éloignait pas beaucoup de 40 francs, cela faisait un prix fort honnête.

Une passion commune alors à tous les gentilshommes, c’était les parfums. Avant d’avoir parcouru le journal de Gouberville, nous n’aurions pas soupçonné qu’elle eût pénétré à ce point jusque dans les campagnes. Ce châtelain du Cotentin installe dans son manoir une vraie officine de parfumerie. Il fait fabriquer sous ses yeux de l’eau de rose, de la pommade, et l’eau à la mode, l’eau de Damas ; il ne dédaigne pas d’aller quérir lui-même à cet effet des œillets chez les cordeliers, et acheter du calamus aromaticus que lui fournit maistre Jehan Poulain. Pour achever chez le sire de Gouberville l’habillement du gentilhomme, il ne manque plus que les gants.