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propriétaire de Gréville, n’en avait pas dans son château, et le cadeau que le châtelain du Mesnil-au-Val lui fait de la sienne ou d’une de celles qu’il avait prend un certain air d’événement. Enfin, quant à la vaisselle, il se peut qu’il en eût une petite quantité en argent, mais celle que mentionnent les notes est toujours d’étain. Ce n’est en effet que plus tard que l’on vit se répandre l’usage plus abondant de l’argenterie. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que cette partie de la Normandie était une de celles où s’étaient le mieux conservées les traditions de simplicité.

En revanche, les gens d’une certaine aisance avaient toujours en Normandie attaché beaucoup d’importance à la possession du linge. Les paysans eux-mêmes en avaient au XIVe siècle. On ne s’étonnera pas que ce fût un des objets dont un riche châtelain tînt à être bien pourvu. Celui-ci avait ce qu’on ne rencontrait pas toujours alors, même dans les châteaux, des draps de lit et du linge de table. Cet infatigable annotateur, qui semble être à lui-même son propre Dangeau, ne nous laisse pas ignorer qu’il « vestoyt chemise blanche » tous les dimanches. Sans doute il y a peu d’intérêt pour la postérité à savoir que le châtelain de Mesnil-au-Val se faisait faire des chemises à peu près tous les trois ans, et que ces dates furent 1553, 1556 et 1561 ; mais c’est une bonne fortune pour nous d’apprendre ce que coûtait en ce temps-là une journée d’ouvrière.

22 novembre 1553. — « Baillé à la marchande, pour deux jours qu’elle a été céans à me fère des chemises, 12 deniers. » Le lendemain : « A Jacquette Feuilly et à Françoyse Pyvain pour troys journées qu’elles ont été céans à me fère des chemises, à chacune 18 deniers. » Or le denier étant le douzième d’un sou, lequel valait 1 fr. 25 (sol parisis) ou 1 fr. (sol tournois), on peut donc dire qu’à cette époque à la campagne, dans cette partie de la France, le salaire d’une ouvrière était, en calculant avec le sire de Gouberville par sous tournois, environ de 8 ou 9 de nos sous avec la nourriture. Nous indiquerons plus clairement tout à l’heure ce que représentent ces chiffres.

À cette époque, le luxe du vêtement n’était pas simple affaire de goût personnel ; le rang avait ses exigences impérieuses. Le sire de Gouberville portait l’épée, et la faisait même porter à son demi-frère Symonnet. Nul lieu donc de s’étonner qu’il parle de la fine toile de lin et de la dentelle qu’il achète pour des chemises non moins ouvragées que ses riches mouchoirs de soie, qu’il lui arrivait de perdre plus d’une fois ; il le note avec d’autant plus de peine qu’il suivait l’habitude du temps d’y mettre souvent son argent dans un des coins, bien qu’il ne manquât certes pas débourses et d’escarcelles. Il n’est pièce composant la garde-robe d’un