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jouer aux boules. » Le fouet fait partie de la discipline pour les jeunes serviteurs. Ils sont fouettés quand ils ont menti ou commis quelque faute grave ; mais ce n’est plus lui qui se charge alors de la correction. Notez bien qu’il s’agit du plus juste, du plus affectueux des maîtres ; son seul défaut est d’être de son temps.

Nous aurions trop affaire si nous voulions ici donner toutes les preuves de bonté d’âme de l’excellent sire, Nul besoin dont il ne se préoccupe, nulle souffrance dont il n’ait pitié et qu’il n’ait à cœur de secourir, Il favorisait l’instruction des gens de campagne, faisait des distributions de monnaie aux écoliers. Il note qu’il « bailla à un de ses domestiques quatre solz pour payer l’escollage de son fils. » Il visite les maîtres et les écoles de tout le voisinage. Il encourage les jeunes gens en état de recevoir une instruction supérieure, et fait un petit cadeau d’argent à un jeune homme qui part pour aller étudier à Paris.

La charité du sire de Gouberville s’offre sous bien d’autres formes habituelles et pour ainsi dire quotidiennes. On n’a pas l’idée du nombre de malades qu’il visite et du temps qu’il leur consacre. Il les soigne comme de vrais frères. Je touche ici à un côté curieux de ce temps et aussi du caractère de ce châtelain ; on peut dire à la lettre qu’il pratiquait la médecine. Il est singulier de voir à quel point il se pique de connaissances et d’expérience en ce genre, A en croire ses notes, il fait preuve comme chirurgien d’une vraie habileté. Il inspire confiance à tout le pays. On le consulte à la ronde. « Guillaume et Philippe Mesnage vinrent me demander conseil si Juan, leur frère, qui avoyt été prins de pleurésie, se feroyt soigner. » Un paysan s’est blessé en tombant d’un arbre ; Goubervilie « lui foit et lui place aux endroits foulés des emplattres de tourmentine. » Il est à chaque instant appelé pour des plaies faites par des armes de toute espèce qui jouent leur rôle dans toutes les querelles. Il sait manier la lancette. « La femme de Jehan Fréret ayant ung genoul fort enflé… il luy perce avec la lancette l’apostume qu’elle avoyt. » Ceux qui ont les yeux malades ont de même recours à lui, et il écrit de quelqu’un qui prétendait panser un malade atteint d’une affection de cette nature : « Je ne voulus permettre qu’il y touchât pour ce qu’il n’y entend rien. » Un pauvre homme de Tourlaville avait un cancer depuis neuf ans, et un barbier prétendait le guérir, Gouberville s’en va trouver l’outrecuidant barbier et le tance comme il faut, « Je remonstre audict barbier la folie de son entreprise, et comme telles cures sont impossibles, selon qu’en ont escript tous les médecins et chirurgiens. » N’est-ce par parler d’or et dirait-on mieux aujourd’hui ?

Il y aurait un chapitre à composer avec ce journal sur l’exercice de la médecine dans les campagnes au XVIe siècle, et sur la