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la faveur. Elle était comme la plénipotentiaire des intérêts royalistes auprès du vieux prince, qu’elle avait la mission de ramener à la « bonne cause, » en le captivant et en l’amusant, en lui donnant toutes les illusions d’un attachement de cœur. Déjà, dans les crises de 1820, Mme du Cayla n’avait pas été sans influence ; à partir de ce moment, elle avait pris possession de la volonté du roi, qui oubliait insensiblement son ancienne politique, son amitié pour M. Decazes, ses antipathies contre les « ultras, » et ne résistait plus à la caressante tyrannie de celle qui avait plus de puissance que le gouvernement tout entier. Le comte d’Artois n’ignorait pas cette intrigue, qui servait ses passions ; les chefs de la droite se préparaient à en profiter. Le galant vicomte Sosthènes de La Rochefoucauld pouvait se flatter d’avoir réussi et d’être de moitié dans le pouvoir de la séduisante personne qui lui écrivait au début : « En vous écoutant, on se sent animé d’une sainte ferveur, ami. La Providence peut faire de moi ce qu’elle voudra… » La Providence avait bien travaillé, et M. de La Rochefoucauld jouait peut-être un singulier personnage pour la gloire de la bonne cause[1] !

L’ennemi, le danger pour le ministère Richelieu était là, au cœur de la place, dans cette fascination intime qui enlaçait et dominait le roi au profit d’un parti. Il était aussi au dehors, dans un certain état de la France et de l’Europe, dans les conspirations qui se renouaient, qui affectaient une forme militaire autant que libérale, dans les grandes séditions qui éclataient à peu d’intervalle tantôt en Espagne, tantôt à Naples, tantôt à Turin. Un souffle de révolution semblait courir partout pendant ces années 1820 et 1821. Ces mouvemens, plus superficiels que profonds et destinés dans tous les cas à n’être que des éruptions momentanées, avaient un double effet. Ils commençaient par réveiller les inquiétudes et surexciter l’esprit de réaction ; ils provoquaient en Europe ces réunions de Laybach, de Troppau, — en attendant celle de Vérone, — où les cabinets resserraient l’alliance des monarchies et concertaient leurs répressions ; ils semblaient justifier les plaintes et les pronostics sinistres des royalistes sur le danger des propagandes révolutionnaires et de la politique libérale, complice de tous les révolutionnaires. C’était l’effet du premier moment. Les répressions qui suivaient bientôt, l’attitude de l’Europe monarchique, la prompte défaite des révolutions de Naples et de Turin, toutes ces victoires de réaction, par une autre conséquence, enflammaient les royalistes, exaltaient leurs passions et redoublaient leur jactance. Le vent

  1. Les Mémoires que M. de La Rochefoucauld a laissés et qui ne brillent point à coup sûr par l’art littéraire sont l’histoire la plus singulière des particularités intimes de cet épisode de la restauration. On ne peut imaginer plus de vanité et d’ingénuité dans le récit d’intrigues vraiment fort étranges.