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UN
CHATELAIN DE NORMANDIE
AU XVIe SIECLE

JOURNAL DU SIRE DE GOUBERVILLE.

On a publié pour le midi de la France quelques-uns de ces livres de raison ou livres de comptes, tels qu’en tenaient souvent nos aïeux pour le bon ordre de leurs maisons et pour leur satisfaction personnelle. Ces registres, où s’inscrivaient leurs dépenses, annoncent une complète absence de préoccupation littéraire, bien que le style puisse avoir d’heureuses rencontres, et le papier y reçoit les plus vulgaires confidences. Mais tout n’est pas vulgaire même dans une destinée modeste et obscure ; en un sens même, rien ne l’est. Tout ce qui s’inspire d’un sentiment naturel, tout ce qui atteste la pensée d’un devoir, si simple soit-il, tout ce qui montre un certain dessein dans la poursuite d’un objet auquel la volonté se consacre, acquiert sa valeur, presque sa noblesse.

L’intérêt de ces livres, c’est que les dépenses inscrites traduisent et résument à certains égards les événemens de la vie. Les deux plus importans, la naissance et la mort, ne se passent point sans entraîner quelques frais. Les affaires de sentiment ont elles-mêmes leur budget de dépenses. A tout se mêlent les achats et les fournisseurs. Enfin les taxes qui s’attachent à la plupart des actes achèvent de donner à l’existence humaine, prise d’un certain point de vue, cet aspect assez singulier d’une carte à payer. Qu’il vous arrive plus tard, après bien des années, d’y jeter les yeux, vous vous laissez aller à remonter le cours des jours écoulés ; c’est comme