Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il fait à la peinture, par les effets d’ombre et de lumière qu’il cherche et qu’il trouve avec une si surprenante hardiesse ; ses marbres n’ont pas seulement la forme, ils ont encore, dans une certaine mesure, la couleur. Michel-Ange est moderne entre tous par ce qu’il a mis dans ses œuvres d’idées et de passion, par le sentiment tout personnel dont elles sont empreintes ; en même temps il est antique par l’élévation de son génie. Jamais il ne se contente de copier la réalité, mais il s’en inspire tout ensemble avec une science profonde et une liberté souveraine, pour enfanter des êtres plus grands, plus forts et plus beaux que ceux qui lui servent de modèles. Comme les anciens, il crée des types ; mais ces types ont un tout autre accent que ceux de l’art grec : la vie s’y développe avec moins de calme et d’harmonie, avec une agitation plus tumultueuse, le mouvement y a quelque chose de violent et presque de tragique. On y sent palpiter toutes les douleurs des deuils inconsolables, des séparations sans espoir, du patriotisme affligé et humilié, des rivalités ardentes, de l’effort qui n’est jamais satisfait par le résultat obtenu. Sa sculpture est triste, quoi qu’elle représente ; elle est triste, même quand elle figure ce qui est le charme et la lumière du monde, la jeunesse et la grâce virginale de la beauté féminine, comme dans l’Aurore du tombeau de Laurent de Médicis. Au contraire, ce qui caractérise la sculpture grecque, c’est une sorte d’optimisme et de joie intérieure, qui persiste alors même que le marbre nous offre le spectacle de la souffrance et de la mort, comme dans l’Amazone blessée ou les Niobides ; c’est une majestueuse sérénité.

Le Musée national possède de Michel-Ange plusieurs ouvrages intéressans, que l’on ne saurait passer sous silence dans l’histoire de sa vie. Le masque de satyre que le jeune homme a, dit-on, modelé à quinze ans, sous les yeux mêmes de Laurent de Médicis, pique la curiosité, surtout par l’anecdote qui s’y rattache[1]. Une esquisse en marbre, d’une Vierge avec l’enfant, est une fort belle chose. Tout inachevé qu’il soit, le buste de Brutus, avec ses traits hautains et farouches, frappe les yeux et se grave dans la mémoire. C’est un groupe d’un mouvement superbe que ce Vainqueur terrassant un prisonnier ; comme les deux Captifs du Louvre, il était destiné au tombeau de Jules II. L’Adonis et le Bacchus, œuvres de la jeunesse du maître, appartiennent au temps où il étudiait l’antique avec le plus de passion et où il s’exerçait sur les thèmes que lui fournissaient la poésie et l’art des anciens ; de toutes ses statues, le Bacchus est peut-être celle qui eût le moins surpris un sculpteur

  1. Vasari, Vie de Michel-Ange.