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était, peut devenir triste ou même farouche. Avec grande raison, l’art grec commença par le plus facile ; il s’étudia d’abord à reproduire les masses, les proportions, les attitudes diverses du corps, avant de se risquer à tenter d’animer le visage, de faire, deviner, de faire voir l’âme dans l’écartement des lèvres et dans le creusement de l’œil, dans un pincement des narines et dans un pli du front.

Ainsi s’explique ce que l’on appelle d’un terme très inexact le sourire des statues archaïques. Dans les marbres d’Égine, par exemple, il y a un contraste très marqué entre l’exécution des corps et celle des têtes. Les figures de ces combattans qui se disputent un cadavre sont groupées dans des attitudes variées, hardies, quelques-unes même violentes ; or le nu y est traité avec une habileté, avec une vérité surprenantes, tandis que le visage y reste empreint d’une placidité inaltérable. La face semble étrangère aux passions qui ont bandé comme un ressort les muscles de tous ces combattans, qui projettent en avant, dans l’effort de la lutte, toutes ces jambes tendues, tous ces bras armés, ou qui raidissent, dans les convulsions de l’agonie, ces membres défaillans.

Ce contraste est-il l’effet d’un parti pris, comme on l’a dit souvent ? On a pu prétendre, avec quelque vraisemblance, qu’en immobilisant cette espèce de sourire sur les lèvres d’un dieu, de l’Apollon de Ténée ou de l’Apollon de bronze que nous avons au Louvre, les Grecs avaient voulu exprimer l’idée du bonheur et du calme divin ; mais cette explication peut-elle s’appliquer à des hommes engagés dans un combat meurtrier, à des personnages dont la chair palpite de toutes les chaleurs de la mêlée et de toutes les angoisses de la mort ? Non certes ; on n’y saurait songer. Ce n’est pas par calcul, c’est par impuissance que les sculpteurs des frontons d’Égine n’ont pas gravé sur les physionomies de ces combattans la colère et la souffrance. Une ou deux figures du fronton oriental, d’un travail déjà plus avancé, indiquent et annoncent le progrès qu’il reste à accomplir ; elles montrent que l’on n’en est pas loin. Avec la génération suivante, avec Polyclète et Phidias, la statuaire grecque allait triompher de cette dernière difficulté ; dans des œuvres qui resteront d’éternels modèles, toute une illustre suite de maîtres allait établir un accord qui ne serait plus troublé entre l’expression du corps, si l’on peut ainsi parler, et celle du visage, saisie jusque dans ses nuances les plus délicates et les plus fines.

En suivant cette marche, les artistes grecs ont été conduits à chercher les caractères généraux bien plus que le caractère individuel. En effet, c’est surtout par les traits du visage, par la physionomie, que les hommes se distinguent et diffèrent l’un de