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en faudrait-il davantage pour agiter l’opinion ? Les allusions n’allaient-elles pas se multiplier, en vers, en prose, sous toutes les formes, si élégantes et si détournées qu’il serait impossible de sévir ? On aurait l’impertinence d’enrôler Dante, sur la couleur de sa robe, parmi les carbonari, de s’en faire un ancêtre et un précurseur. C’était un scandale qu’il convenait d’éviter ; il suffisait de quelques coups de pinceau donnés à propos. Marini reçut des ordres ; il fit disparaître ces teintes dont le rapprochement, sur une fresque vieille de cinq siècles, mettait en danger la sûreté de l’état[1]. On lui a vivement reproché d’avoir ainsi sciemment altéré une œuvre qu’il était fondé à croire de la main même de Giotto ; mais la faute n’en est pas à lui ; le malheureux pouvait se compromettre en refusant d’obéir. C’est au gouvernement d’alors qu’il faut imputer cette injure infligée à l’un des plus vénérables monumens de l’art florentin.

Cette découverte avait ramené l’attention sur ce vieil édifice, qui menaçait ruine. La restauration en fut décidée et commencée en 1857 ; mais ce fut après la révolution que l’on conçut la pensée d’y établir un musée toscan. Les gros travaux furent terminés en 1867 ; mais aujourd’hui même on ne peut dire que l’arrangement des galeries soit achevé. Point de catalogue ; les monumens sont souvent déplacés, à mesure qu’il en arrive de nouveaux. Ce qui fait le principal intérêt de la collection, ce sont les merveilles de la sculpture florentine ; mais l’art industriel y est aussi représenté par un choix riche et varié d’objets de luxe et d’ameublement, d’armes, de monnaies, de sceaux, de bijoux, de vases, d’ivoires, de vitraux, qui portent tous, à leur manière, l’empreinte du grand goût toscan. Quoique la peinture soit ailleurs, aux Offices, à Pitti, à l’Académie, il y en a pourtant là de curieux échantillons. C’est donc bien, dans toute la force du mot, un musée national, c’est-à-dire un musée où le génie même de la Florence d’autrefois vit et respire dans les œuvres les plus célèbres de ses artistes comme dans les moindres ouvrages sortis des mains de ses artisans. Nulle part on ne peut se

  1. Nous empruntons cette anecdote à l’ouvrage déjà cité plus haut : Walks in Florence, dont l’un des meilleurs chapitres est consacré au Bargello ; nous ajouterons que d’autres témoignages nous ont confirmé l’exactitude de ce récit.