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d’assister au succès de leurs efforts ; il a été ébauché, dans la première moitié du siècle, par la fondation de sociétés savantes et de recueils périodiques consacrés, comme on dit en Italie, à la storia patria, à l’histoire de la patrie ; il l’a été surtout par ces congrès qui, dans les années d’avant 1848, ont pris une part si brillante à l’agitation morale d’où est sorti le royaume d’Italie. Alors il était sans cesse entravé par les défiances, par les terreurs des gouvernemens : ceux-ci, l’oreille inquiète et toujours tendue, écoutaient moins encore ce qui se disait que ce qui ne se disait pas ; ils sentaient frémir, dans les gestes, dans les paroles et jusque dans le silence, des regrets et des espérances, un esprit national, une âme passionnée qui se dérobait à leurs prises. De là de perpétuelles entraves, des surveillances blessantes et impuissantes, les bévues de la censure, des suppressions de sociétés et de revues, ces coups de force qui ne sont en face des révoltes de l’opinion que des aveux de faiblesse. Aujourd’hui, dans chaque province, dans chaque ville, ce travail se poursuit avec le concours et l’appui cordial de l’autorité publique. Sans doute cette protection n’assure pas aux sociétés locales des ressources comparables à celles que leur garantissent des pays plus riches et plus anciennement constitués ; mais jadis, en Italie, on ne pouvait tenter une œuvre utile et patriotique sans que cette initiative fût pour celui qui la prenait un titre à la persécution. C’est déjà beaucoup d’avoir un gouvernement qui n’empêche pas de faire le bien !

On était moins tourmenté, on jouissait de plus de liberté relative, entre 1815 et 1859, en Toscane que partout ailleurs en Italie ; voici pourtant une histoire que l’on conte à Florence et que nous rapporterons parce qu’elle a trait au palais du bargello ; elle montre bien quel était, dans les provinces même les plus favorisées, l’esprit des gouvernans. On savait, par un texte de Philippe Villani, auteur d’une vie de Giotto, que ce maître avait peint dans la chapelle du palais un portrait de Dante, son grand contemporain ; Vasari confirmait cette assertion ; aucune image du poète ne pouvait être plus authentique[1]. Or la chapelle avait été, comme le

  1. La question d’authenticité a été discutée par plusieurs critiques et entre autres par le docteur Paur, dans le Jahrbuch der Deutschen Dante-Geseltschaft, 1869. Voici ce qui laisse place au doute. Dans la vie de Giotto, écrite en latin par Philippe Villani, ce portrait de Dante est indiqué comme une peinture sur panneau de bois, in tabula, exécutée pour l’autel de la chapelier mais, dans une traduction italienne, faite du vivant de l’auteur, la peinture est appelée une fresque sur le mur, Villani, s’étant aperçu d’une erreur commise, se serait-il corrigé lui-même dans la version italienne ? M. Paur penche vers cette hypothèse, qu’accepte aussi, après un attentif examen du portrait, un connaisseur aussi autorisé que M. Cavalcaselle, le dernier et le plus savant historien de la peinture italienne.