Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

usage jusqu’à ces derniers temps. L’appellation nouvelle ne les fera pas oublier de si tôt.

Ce qui avait encore contribué à les maintenir, c’est que l’édifice avait conservé, jusque sous le dernier grand-duc, une destination qui en rappelait les anciens services ; il était employé comme prison d’état. Les grandes salles voûtées qui abritent aujourd’hui les chefs-d’œuvre de l’art avaient été découpées, à l’aide de planchers et de cloisons, dans le sens vertical et dans le sens horizontal, en étroites chambrettes ; dans la galerie du premier étage, où l’on admire maintenant l’Adonis et le Bacchus de Michel-Ange, le David de Donatello, les bas-reliefs de Lucca della Robbia, dans ce noble et spacieux vaisseau que la tradition attribue à l’architecte Agnolo Gaddi, on avait trouvé moyen de pratiquer quatre étages de cellules. Sans doute, sous les derniers Médicis et sous les princes de la maison d’Autriche, les têtes ne tombaient plus dans la cour, au lent et triste glas de la célèbre cloche du palais, la Montanara ; mais plus d’un prisonnier languit là pendant des mois et des années, victime des rancunes et des peurs d’un pouvoir faible et craintif.

Ces temps sont déjà bien loin de nous, quoique n’ait point disparu la génération qui a vu pleines encore ces prisons politiques. De tous les gouvernemens qu’a balayés le mouvement de l’indépendance italienne, la dynastie toscane était, sans comparaison, le moins mauvais, le moins gênant et le moins tracassier ; cependant, pour s’imaginer que ces princes déchus peuvent revenir un jour ou l’autre, il faut n’avoir jamais mis le pied au-delà des Alpes ou bien s’être enfermé volontairement dans ce monde du rêve, peuplé de fantômes, où vivent les champions des causes condamnées par l’histoire. Il est permis de regretter, à divers égards, le tour que les choses ont pris en Italie ; ces regrets peuvent s’expliquer soit par une honorable fidélité aux personnes et aux traditions du passé, soit même par des considérations politiques très dignes d’intérêt ; mais prophétiser, dans d’obscures et menaçantes apocalypses, le rétablissement du régime que nous avons vu s’évanouir, c’est vraiment pousser l’illusion jusqu’au point où elle touche à l’hallucination.

Rien ne confirme plus l’Italie dans l’attachement qu’elle a voué à ses institutions nouvelles que le travail qu’elle a entrepris et qu’elle poursuit, de la Sicile aux Alpes, sous bien des formes différentes, pour relier le présent au passé, pour retrouver et classer tous les titres qu’elle possède à l’admiration et à la reconnaissance de tous les esprits cultivés. Ce travail ne date pas d’aujourd’hui ; il a été commencé, dans la première moitié du siècle, par de généreux esprits dont bien peu ont eu la joie, comme le grand poète Manzoni,