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charme et sa grâce, mais où l’on sent aussi parfois, entre ces élémens d’origine diverse, une sorte de disconvenance secrète et de désaccord intime.

Autre défaut : la forme extérieure de l’édifice n’en annonce pas toujours la destination avec la même clarté que dans l’architecture grecque. A chaque instant, on a des surprises. Est-il rien de plus étrange qu’une église comme Or San Michele ? Au premier abord, vous vous croyez en présence d’une tour carrée, d’une forteresse ; vous cherchez autour de vous l’église marquée sur votre plan, et vous croyez vous être trompé. Ce qui commence à vous rassurer, c’est l’absence de ces créneaux qui ne manquent ni au palais du podestat, ni au Palais-Vieux ; vous voyez aussi ces statues de saints qui ornent les quatre côtés de l’édifice et vous finissez par soupçonner la vérité ; mais il vous faut franchir le seuil pour être tout à fait certain que vous n’avez pas fait fausse route. Il y a là une singularité qui ne s’explique que par l’histoire. Dans l’ancienne Florence, la place d’Or San Michele servait de marché aux grains ; l’édifice qui la décorait, élevé par Taddeo Gaddi en 1337, était un bâtiment à deux étages, qui renfermait des greniers au-dessus d’une grande salle aux arcades ouvertes, d’une loggia où les marchands de blé devaient se réunir, tenir ce que nous appellerions la bourse. La réputation dont jouissait une image de la Vierge, peinte par Ugolin de Sienne, qui était exposée sur une des parois de cette salle, la dévotion dont cette image était l’objet et qui avait donné naissance à une pieuse et riche confrérie, les miracles attribués à cette Madone, tout cela conduisit à transformer, un peu plus tard, cet édifice civil en une église, et le soin d’opérer cette transformation fut confié à André Orcagna, qui s’en acquitta avec beaucoup d’adresse et de goût. Malgré toute son habileté, malgré le caractère tout religieux de la décoration dont l’édifice a été revêtu par la généreuse émulation des différentes corporations ouvrières de Florence, si vous ignorez ces détails, vous êtes tout désorienté en vous approchant d’Or San Michele ; dans ces dispositions générales, si différentes de celles que vous avez rencontrées dans tous les autres temples de la cité, il y a quelque chose qui vous gêne et vous inquiète.

Œuvre d’un siècle plus récent, le palais Pitti prête à la même critique. Avec ses rudes bossages, avec sa large façade massive, presque dépourvue de tout ornement, répond-il à l’idée que l’on est porté à se faire de l’existence de princes riches, épris de l’art et du plaisir ? Semble-t-il que ce soit là le cadre naturel d’une cour somptueuse et brillante telle que l’était celle des Médicis ? Combien nos châteaux du temps des Valois, Chambord, Blois, Chenonceaux, Écouen, les Tuileries de Philibert Delorme, répondent mieux aux