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fondation remontait au Xe siècle[1] ; l’architecte, Arnolfo di Cambio, prétend-on, celui qui devait un peu plus tard construire le Palais-Vieux et commencer la cathédrale, se préoccupa surtout de donner au bâtiment une solidité, une puissance, qui lui permissent de défier les émeutes, de résister aux assauts des factions[2]. Il réussit dans son entreprise ; malgré plusieurs réparations et remaniemens, son œuvre a gardé un caractère singulier de force et de sévérité grandiose. Elle possède un mérite qui manque à certains monumens de l’architecture florentine, à quelques-uns même des plus célèbres : elle est en parfait accord avec les idées, les habitudes, les besoins de la société qui l’a créée ; par son ensemble comme par tous ses détails, elle nous les rappelle et nous les représente très vivement ; elle révèle, elle expose tout d’abord les pensées et, les sentimens qui ont jadis poussé au-dessus de toutes les maisons voisines les créneaux de cette haute tour carrée, qui ont dressé et assemblé en épaisses murailles, soigneusement appareillées, ces durs blocs de pietra-forte[3], courbé et tendu les reins de ces larges voûtes ogivales, forgé ces grilles, armé de fer ces lourdes portes de chêne. Entre les édifices de Florence, celui-ci est un de ceux qui forment le tout le plus harmonieux et le plus complet, un de ceux qui ont, si l’on peut ainsi parler, la physionomie la plus expressive.

Florence est pleine de monumens qui surprennent et qui amusent le regard, d’édifices que l’on passe de longues heures à étudier. L’architecture est pourtant peut-être des trois grands arts plastiques celui où Florence peut lutter le moins avec la Grèce. L’architecture florentine est moins simple, moins raisonnable, moins homogène que l’architecture grecque. Ce n’est point une création sortie tout entière, par un développement logique, du génie d’un peuple merveilleusement doué ; il n’y a point là cette harmonie de l’ensemble et des détails, cette clarté qui fait de l’art grec un art classique, propre à offrir des modèles et à suggérer des règles, un art éternellement imitable et imité. L’art toscan accepte des traditions, il emploie des formes que d’autres ont créées, la voûte étrusque et romaine, l’ogive française et allemande, les ordres grecs et les moulures qui s’y rattachent ; il fait de ces formes un mélange qui a sans doute son

  1. Le souvenir de ces jardins a été conservé par le nom de l’une des rues qui longent le Bargello, celle de la Vigna vecchia (la vieille vigne).
  2. Malgré l’épaisseur de ses murs, le palais du podestat fut plusieurs fois pris d’assaut par la foule et ravagé par l’incendie. Nous ne rappellerons que l’émeute qui mit fin à la tyrannie de Gautier de Brienne, en 1343, et celle des Ciompi, en 1378.
  3. C’est une roche appartenant à la formation crétacée, que l’on tire des carrières de Monte Ripaldo et de Pontesieve. On en fait aussi les larges dalles dont sont pavées les rues de Florence.