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rapidité, avec cette soudaineté, qui permettent, qui conseillent presque la prodigalité.

Florence, elle aussi, a pu jadis dépenser sans compter, dans des temps déjà lointains, quand son industrie était florissante, quand ses banquiers avaient des comptoirs sur tous les marchés de l’Europe, qu’ils prêtaient aux particuliers, aux villes et aux rois et qu’ils tiraient de ces avances des revenus considérables. Depuis plusieurs siècles, il n’en est plus ainsi. Par une récente et cruelle expérience, Florence a dû reconnaître qu’elle ne produisait plus assez pour imiter les entreprises fastueuses et les largesses d’autrefois ; elle se sent condamnée, pour longtemps, à une sévère économie. Ce n’est donc pas à grands coups d’argent, comme Londres ou New-York, comme jadis Munich, que Florence a trouvé moyen d’augmenter ou de paraître augmenter ses richesses, qu’elle a depuis une dizaine d’années ouvert aux curieux des musées nouveaux, dont chacun a son caractère et son intérêt propre, dont l’un, le Musée national, renferme des morceaux de premier ordre et dispute aux Offices et à Pitti l’attention des connaisseurs. Comment s’y est-on pris pour obtenir ce résultat presque sans autre dépense que celle de [quelques travaux d’appropriation ? Pour s’en rendre compte, il faut se rappeler ce qu’a été la vie de la Toscane tout entière et particulièrement de Florence depuis le XIVe siècle jusqu’au XVIIe, il faut se représenter par la pensée le nombre vraiment incalculable d’œuvres de tout genre que n’a pas cessé d’enfanter, pendant ce laps de temps, l’infatigable génie des artistes italiens, stimulé et récompensé par la faveur publique, par la munificence des particuliers, des cités et des princes. Sans doute beaucoup de ces objets avaient été portés au-delà des monts par le commerce des objets d’art ; mais il en était resté bien plus encore dans le pays. La Toscane en était, pour ainsi dire, pleine jusqu’à la saturation. Il y en avait chez les marchands, entre les mains de qui tombaient, à chaque famille qui s’éteignait ou se ruinait, les épaves de tous les naufrages : il y en avait dans ces centaines d’églises, dans ces milliers de chapelles qu’avaient multipliées, plus encore que la piété des fidèles, l’esprit de quartier et de corporation, l’amour-propre et la rivalité des différens corps de métiers. On en trouvait dans toute riche et noble maison[1] ; on en trouvait aussi, dès que l’on se donnait la peine de chercher, dans la demeure du pauvre. C’était souvent quelque ancien palais déchu, où dans un coin, sous la poussière et les toiles d’araignée, se cachait plus d’un vieux

  1. Pour se faire une idée de tout ce que contenaient de précieux les palais des grandes familles florentines, il suffit de se reporter à la description que De Brosses, dans ses Lettres familières, donne des richesses du seul palais Riccardi (Lettre du 4 octobre à M. de Quintin).