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à cette tristesse des longues crêtes arides l’éclat de ses teintes tendres et changeantes ; point de nappe liquide, golfe sinueux et varié, lac paisible ou large fleuve coulant à pleins bords. L’Arno pendant les trois quarts de l’année n’a qu’un filet d’eau jaunâtre qui serpente et se traîne parmi les sables et les cailloux de son lit. A tout prendre, il y a ici quelque sécheresse, aussi bien dans le ton général du paysage que dans ses maîtresses lignes.

Moins enivrante et, si l’on peut ainsi parler, moins capiteuse que Naples, Florence se laisse plus aisément embrasser et pénétrer que Rome ; on réussit plus vite à s’y orienter et à la comprendre, à en jouir, à s’y sentir chez soi ; elle est comme ces gens avec qui on arrive en peu de temps à la pleine confiance, à l’intimité. C’est que nulle part on n’y est loin de rien ni de personne. Partez de cette place de la Seigneurie où a si longtemps battu, où bat encore, dans les grands jours, le cœur de la cité, quand résonne cette vieille cloche qui semble aux oreilles florentines la voix même de la patrie[1], partez du Palais-Vieux, et en quelques minutes vous arriverez là où vous voulez aller. Pour peu d’ailleurs que vous ne soyez pas pressé et que vous sachiez ouvrir les yeux, sur votre chemin vous rencontrez cinq ou six monumens qui méritent de vous arrêter ; vous risquez de si bien vous attarder en route que la nuit vous surprendra bien loin encore du but que vous vous étiez fixé. Les grands hommes, architectes, peintres, sculpteurs, représentés par leurs chefs-d’œuvre, demeurent ici porte à porte. Pour aller de l’un chez l’autre, pour passer de Brunelleschi au Cronaca, de Ghiberti à Donatello ou à Michel-Ange, de Masaccio à Fra Beato ou à André del Sarto, pas n’est besoin d’user une partie de son temps en courses à travers des quartiers déserts et fiévreux, ou de se frayer péniblement un chemin dans la foule, par des rues trop peuplées. Voici mieux encore. Florence a deux galeries admirables, les Offices et Pitti, qu’il suffit de nommer pour rappeler tout ce qu’elles renferment de merveilles ; ces galeries sont séparées par l’Arno et par une distance de près d’un kilomètre[2] ; aujourd’hui cependant les deux musées n’en font plus qu’un. Vous allez à couvert des Offices à Pitti, par un long couloir qui vous paraît court, tant il contient de belles gravures, de dessins de maîtres, de riches tapisseries ; c’est à la fois un chemin qui vous évite le soleil ou la pluie, et un musée qui mérite d’être visité pour sa propre valeur.

  1. « Le sonore profonde oscillazioni del bronzo percosso, piovendo dell’ alto sulla turba, vibravano in ogni cuore… Quel suono non pareva se non la voce della patria stessa che chiamava i suoi figli ad implorare ajuto. (Massimo d’Azoglio dans son roman de Nicolo de’ Lappi.)
  2. La longueur exacte est de 600 et quelques mètres.